Il y a quarante ans cette année que sortait Z, le film de Costa-Gavras, film culte pratiquement dès sa parution en salles. Ces années-là étaient contestataires au cinéma. Moi, j'allais avoir dix-sept ans et je commençais aussi à pas mal contester, dans ma tête en tout cas.
Bizarrement, je ne me souviens pas de grand chose des images. Une impression fugitive à la fois de violence et d'ennui, mais je confonds peut-être avec L'Aveu, du même réalisateur. En revanche, je n'ai jamais oublié le générique de fin, sur lequel une voix de femme récitait toutes les interdictions édictées par le régime des colonels, à ce moment-là au pouvoir en Grèce, interdictions hétérogènes allant de la tenue vestimentaire à la lecture de certains auteurs, dont, si j'ai bonne mémoire, celle de Sophocle! Mais ce film est lié pour moi à un autre souvenir: celui du jour où j'ai rencontré Mikis Théodorakis.
Étrange rencontre. J'avais à l'époque un amant espagnol, Eugenio, un grand ouvrier au corps magnifique, au visage de beau mâle latin, au sourire dévastateur. J'avais eu le bonheur de lui plaire, alors que de nombreux garçons tentaient de se l'arracher, et notre liaison dura jusqu'à son départ définitif en Espagne. En 1973 ou 74, il s'occupait , l'étant lui-même, du groupe assez important des communistes espagnols résidant à Lyon en entendant la fin du régime franquiste. Cette année-là, la fête de ce parti eut lieu à Lyon et l'invité vedette en était Théodorakis.
Alors que nous sortions du lit d'Eugenio et pour prolonger le plaisir d'être ensemble, nous décidâmes de continuer l'après-midi par une balade dans les rues de la ville. Quand nous nous trouvâmes tout près de la place Gabriel Péri (place du Pont pour les Lyonnais), il s'arrêta et me montra, sur le trottoir d'en face, un groupe d'hommes avançant de conserve.
"Tu vois, celui du milieu, c'est Mikis!
Et devant mes regards interrogatifs, il ajouta:
"Théodorakis, Mikis Théodorakis!"
On m'aurait annoncé que la Vierge venait d'apparaître devant le Monoprix de l'époque que je n'en aurais pas été davantage surpris. Théodorakis en chair et en os, bien vivant, là devant moi, cette icône de la contestation, ce symbole de la gauche internationale, se promenait tranquillement sur un trottoir du 3° arrondissement!
Et ma surprise ne s'arrêta pas là:
"Viens, on va le saluer. Tu verras, il est sympa!"
J'étais sans doute rouge de confusion lorsque le grec le plus célèbre au monde, après Socrate et Mélina Mercuri , me serra la main. J'aurais voulu disparaître n'importe où et devais le regarder bêtement, comme l'âne considère l'évêque.
L'entrevue se poursuivit dans un café où nous bavardâmes autour d'une bière. Nous, c'est-à-dire eux, car, pour moi, je restai muet, trop impressionné, me sentant trop petit. J'avais devant moi l'auteur de la musique du film Z, encore récent à cette époque! En même temps, peu à peu, je me mis à éprouver une intense déception en écoutant le sujet principal de la conversation. Ces hommes, brimés pendant des années par le régime des colonels, n'avaient en France qu'une idée en tête: trouver un cinéma où ils pourraient voir enfin un bon film porno! Aujourd'hui, ce détail me les rendrait encore plus sympathiques. A l'époque, j'étais trop jeune pour ne pas être idéaliste à outrance.
Un après-midi, sentimental comme tous les latins, Eugenio m'avait fait la promesse de donner mon prénom au premier de ses fils quand il retrouverait sa fiancée, là-bas, dans les Asturies. L'a-t-il fait? Je n'en sais rien, mais il me plaît de le croire. Après tout, je suis latin moi aussi!
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2 commentaires:
Euh ! la fin me fait un peu penser à la BD de Ralf König "Conrad et George : couilles de taureau" Tu connais ? Faut pas se fier au titre, il est volontairement provocateur. Ses oeuvres sont empreintes d'un "humour homo" très sprituel et fort, que moi j'adore.
Ben bien évidemment que le rendait follement sympathique d'avoir envie de voir un film porno, le Mikis ! Ahlàlà, Rimbaud se trompait, On est TROP sérieux quand on a 17 ans ! C'était bien ton âge à l'époque ?
(Remarque, s'ils recherchaient un film porno hétéro, c'est vrai que ta déception était amplement et pleinement légitime... Immoralité scandaleuse et intolérable...)
Non, je ne connais pas cette BD. Pour mon âge, un peu plus tout de même: autour de vingt, vingt et un ans. Oui, on est trop sérieux à cet âge-là. Mais autant que je me souvienne, "Mikis" n'avait rien physiquement pour me faire regretter ses préférences hétéro!
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