dimanche 26 avril 2009

L'église

L'enfant entra dans l'église. Il devait avoir sept ou huit ans. Qu'était-il venu faire ici, ce jour-là, seul, après quatre kilomètres de marche depuis son hameau? Se confesser sans doute. A cette époque-là, il fallait être lavé de frais de tous ses péchés pour approcher de la table de communion. Il fut surpris par le silence, si opposé à la splendeur des chants en latin de la grand messe du dimanche, ces chants qui le portaient hors de lui-même. Un silence sacré, que l'on ne pouvait briser impunément par le raclement du soulier sur le pavement ou le crissement d'une chaise trop hâtivement déplacée.

L'église était entièrement vide. Il était aussi toujours impressionné par la lumière qui venait du dehors à travers les vitraux, une lumière réfractée, adoucie, comme respectueuse elle aussi de la sérénité du lieu. Certains recoins restaient dans l'ombre, comme le vieux confessionnal en bois clair et ses trois places dont une seule était protégée par une porte, ou l'endroit occupé, près d'un autel secondaire, par une massive cloche de bronze dont le battant s'était fêlé. D'autres, au contraire, s'illuminaient des couleurs rapportées des vitraux, le pilier autour duquel s'enroulait l'escalier de la chaire, la statue de Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus ou bien celle de Jeanne d'Arc, effigies de plâtre coloré qui, près d'un siècle plus tôt, en avaient remplacé d'autres plus anciennes.

Il fit quelques pas plus avant à l'intérieur, pour que s'évanouisse totalement tout bruit venu de l'extérieur et s'arrêta de nouveau à la hauteur des premiers bancs. Tout au fond devant lui, le maître-autel devant lequel, tournant le dos à l'assemblée, officiait le curé dans sa tenue si belle. Il était, lui, parfois, enfant de chœur, mais pas dans la grande église, dans la salle qui tenait lieu de chapelle aux quelques âmes chrétiennes de son hameau. Il n'aurait jamais osé se montrer ici, à la grand messe, devant une nef comble.

Dans un coin, Saint Joseph s'accrochait à son lys et le saint Curé d'Ars tenait les mains jointes, en signe de fervente prière. Les deux autels latéraux étaient consacrés l'un à la Vierge qui rêvait, douce, dans sa robe bleue, et l'autre au Sacré Cœur qu'il n'aimait pas de lui montrer une plaie sanglante et rayonnante.

Il préférait Jésus, là haut, sur sa croix accrochée au-dessus de l'arche du chœur, à l'aplomb de la table de communion de marbre contre laquelle on s'agenouillait pour recevoir dans la bouche l'hostie consacrée. Souvent, pendant le sermon, où il s'ennuyait toujours un peu, il le regardait, oubliant ceux qui l'entouraient et se faisant rappeler à l'ordre par ses voisins lorsqu'il fallait se lever aux paroles sacrées. Jésus lui plaisait: il avait les mains et les pieds percés de larges clous d'où s'échappaient quelques suintements de sang, on voyait la trace de la lance du centurion romain sur son flanc lui aussi ensanglanté, pourtant il n'avait pas l'air de souffrir. Ce qui le touchait, c'était cette douceur dans le regard, un regard qui chaque fois venait se poser sur lui, chaque fois le caressait de sa douceur et lui faisait comme un signe de fraternité.

Lorsqu'il clignait des yeux, il se retrouvait au milieu des autres qui ne s'étaient rendu compte de rien et il reprenait sagement le rituel comme on lui avait appris à le faire.

Ce jour-là,Jésus était là bien sûr, comment en pouvait-il être autrement?, mais ils étaient seuls tous les deux, pour la première fois. Il se mit à le regarder encore plus intensément pour saisir son regard, pour recevoir la caresse de ses yeux. Et il eut beaucoup plus. Il voyait le crucifix là-haut, toujours aussi haut dans la nef et il se voyait aussi, lui, en bas, écrasé par cette image. Sorti de son corps, il se voyait de dos, regardant son double qui fixait le Christ et à qui le Christ semblait répondre. Il vit le crucifié bouger, se détacher peu à peu du carcan de la Croix, s'en délivrer les jambes puis les membres et, tournant sa face glorieuse vers lui, se mettre doucement à descendre la rampe de lumière qui se formait devant et lui et s'arrêtait au pied de l'enfant médusé. Et lorsque Jésus fut au milieu de la rampe, il se mit, lui, à monter à sa rencontre. Il vit ses pieds quitter le sol, sans effort, sans mouvement, comme glissant sur cette même rampe, il vit s'approcher le corps du supplicié. Il en ressentait à la fois de la joie et une terreur absolue. Quand ils furent côte à côte, le Christ lui montra la Croix derrière lui et il comprit. Alors ils poursuivirent leur chemin, l'un vers le sol, l'autre vers les deux traverses de bois où bientôt il se retrouva, plein d'amour, sans douleur, dans la plénitude d'un désir satisfait.

L'arrivée du curé brisa le mirage. C'est de ce jour que date, pour ce garçon, la volonté de se faire prêtre, ou moine, ou missionnaire. Volonté qui disparut le jour où sa sœur mourut, trop jeune, où il se sentit trompé dans son amour.

Depuis il ne cesse de rebâtir cet amour.

(A Kab-Aod. Il comprendra, je crois.)

5 commentaires:

Totem a dit…

J'ai connu aussi un petit garçon qui était influencé par l'atmosphère mystique de ces lieux et des personnages qui s'y mettent en scène. Le petit garçon a grandi, il s'est forgé d'autres convictions. Aujourd'hui, il ne comprend toujours pas comment on peut adorer un type cloué sur une croix.

Calyste a dit…

Moi non plus, je ne comprends pas. Aussi n'est-il question ici ni d'adoration ni de dolorisme.

Kab-Aod a dit…

La brebis la plus importante à Ses Yeux est celle qui s'est égarée ;)

Calyste a dit…

Merci, Kab-Aod.

Anonyme a dit…

Parce que, Totem, si on croit en l'amour et si on veut le sauver du néant, il n'y a que ce "type cloué sur une croix" qui le puisse ... Parce que tout homme doit pouvoir trouver Sa main à l'heure de sa propre mort et qu'Il a voulu pour cela descendre jusque dans nos plus profonds abîmes. Autrement, il n'y a que la mort qui gagne, un peu plus tôt, un peu plus tard ... la mort absurde ! Mais Lui permet que notre mort puisse être vécue comme un dernier acte d'amour. Et cela je l'ai vu ... Alors le reste !!!