samedi 18 avril 2009

Au nom de la mère

Renoué, après un petit passage à vide, avec le plaisir de lier Erri De Luca. Je me demande même si ce n'est pas là un de mes livres préférés de cet auteur, voire le livre préféré.
C'est la Vierge Marie qui raconte sa fécondation par le souffle, par le vent du désert, puis ses mois de grossesse parfois difficile, toujours soutenue par la joie et la force intérieure qui la font braver les coutumes de son peuple et l'opinion des proches et voisins. Joseph, ici Iosef, l'aide par la confiance entière et sereine qu'il lui accorde. Lui aussi se met en marge pour accueillir cet enfant à venir.

C'est d'ailleurs, à mon goût, un des plus beaux aspects du récit, ce personnage si droit, si pur, ce Joseph que l'on oublie souvent ou que l'on réduit à un esprit un peu simple et sans grande consistance. Voir "réhabiliter" un de mes saints patrons m'a fait plaisir, c'est vrai. Mais il y a bien plus dans ces quelques pages organisées en quatre stances suivies de trois courts chants, le premier des bergers, les deux autres de Miriàm, Marie: je suis toujours émerveillé de voir comment cet auteur athée de son propre aveu, ou pour le moins agnostique, arrive par sa pensée à approcher aussi intimement certains mystères de la foi. Débarrassé des rites, des croyances et des interdictions, mais avec une joie apparemment égale à celle d'un croyant, il côtoie le divin par ses mots profondément humains. Son Joseph, par exemple, pourrait être lui-même dans le portrait qu'il en fait: un ouvrier sec, maigre même, tout en nerfs, avec des mains pleines des échardes dues à son travail du bois, un homme pour qui les racines ont leur poids mais qui privilégie, au moment du choix, ce que sa conscience lui dicte.

Le voyage s'achève à Bethléem, dans l'étable où, avant de le donner au monde, Marie savoure les premiers instants avec son fils, les seuls de toute une vie qui n'appartiendront qu'à eux deux. Il n'y a rien de trop dans ce récit. Chaque mot y a sa place. Il doit être épuisant d'écrire de cette façon, sèche et nerveuse mais pleine de tendresse, comme le ventre de Iosef.

Nous avons rencontré un aveugle guidé par un chien. Nous l'avons accompagné au village où il allait s'inscrire pour le recensement. Ce fut une courte déviation vers la mer. Ainsi l'ai-je vue de près et j'ai eu de la peine pour l'homme qui ne pouvait pas la regarder. Il a entendu mon soupir et il a deviné. Il a dit qu'il avait été pêcheur pendant trente ans et qu'il connaissait par cœur la mer et les mouvements qu'elle faisait. Il l'a décrite telle qu'elle était à ce moment-là, avec sa couleur de foin frais qu'elle prenait sous la poussée du vent de terre. Iosef et moi étions émerveillés et nous avons souri avec lui
Arrivé à destination, il a offert à Iosef des figues sèches et puis il l'a béni: "Toi qui aides quelqu'un qui est vu par les autres mais qui ne voit pas, puisses-tu recevoir l'aide de celui qui voit tout et qui n'est vu de personne." C'est un peuple de sages du cœur, le nôtre.

(Trad. de Danièle Valin.)

2 commentaires:

piergil a dit…

Le trouve un peu ingrat avec son père adoptif le "fils de Dieu"!...l'aurait bien pu "l'assomptionner" aussi celui qui l'a protégé, nourri, élevé, et sans qui il ne serait sans doute pas devenu ce qu'il est...

Calyste a dit…

Assez d'accord avec toi, Piergil!