mercredi 1 avril 2009

Vider.

Il y a trois ans aujourd'hui, j'ai vécu le plus beau poisson d'avril de ma vie: il m'a fallu vider la maison de campagne où nous passions toutes nos vacances, Pierre et moi, depuis que je l'avais convaincu de retaper (plutôt de me laisser retaper) cette bicoque héritée de sa famille.

Cette maison ne m'appartenait pas, pourtant j'y étais chez moi, plus que nulle part ailleurs. Dans notre histoire, elle a tenu une place immense, je pourrais évoquer pendant des heures tout ce qui s'y rattache, souvenirs bizarrement uniquement heureux, comme si cette vieille cuisine par laquelle on entrait faisait office de narthex, nous permettait de nous laver de tous nos soucis et d'abandonner dehors toute contrariété.

Et puis Pierre est parti, et il a fallu, moins d'un an après, tout démolir, casser cet univers, éparpiller notre monde. J'avais une petite camionnette. Elle était pleine le soir des livres, vêtements, objets entassés pendant près de trente ans, laissés là, à la campagne, parce que nous étions sûrs de les retrouver au retour. Endosser le soir une veste en laine restée pendant des semaines accrochée au portemanteau et imprégnée de l'odeur de la maison, reprendre la revue laissée sur la table de nuit, retrouver au même endroit la toile que l'araignée s'était tissée encore et toujours, dépoussiérer l'edelweiss fabriquée par un ami suisse avec le papier d'argent de son paquet de cigarettes: tout cela, c'était fini.

Tous ces objets sont restés entassés à Lyon pendant de longs mois, m'interdisant presque l'accès à certaines pièces. Aujourd'hui, ils ont pris leur nouvelle place. Seuls certains ne sont pas encore totalement d'ici et me ramènent immanquablement, lorsque je les croise, aux vacances en Haute-Savoie.

Je n'ai plus de nostalgie de cette époque. Je ne tiens pas à essayer de la prolonger artificiellement. Curieusement, j'ai reçu hier un téléphone du frère de Pierre qui m'annonçait son mariage à Ajaccio avec la femme avec qui il vit depuis des années. C'est avec ce frère que nous avons beaucoup partagé au moment de l'agonie de Pierre. Il m'a demandé si je pensais être disponible. La cérémonie tombant au milieu de mon temps de travail, je lui ai à regret répondu par la négative. Il m'a alors dit qu'il en était presque soulagé. En effet, sa sœur sera là et il sait combien nos rapports pourraient être difficiles maintenant.

Cette femme a rompu tout lien avec moi après la mort de Pierre alors que nous étions très proches et que Pierre était comme son jumeau. J'ai tenté plusieurs fois, au début, de renouer le dialogue. En vain. Je n'ai bientôt plus insisté, pensant que me voir lui causait trop de peine en lui rappelant son frère. Les mois ont passé, puis les années. Toujours rien. Mais ce qui autrefois m'était une douleur est devenu aujourd'hui pour moi partie inhérente de mon apaisement. Je sais que si je la revoyais, elle n'aurait de cesse de me parler de Pierre, de sa maladie, des ses angoisses, de son agonie, de sa mort, se complaisant dans l'aspect morbide et déprimant de ces évocations.

Je n'en veux pas. Je suis sorti de cette zone, alors qu'elle entretient encore la chambre de son fils mort accidentellement en 1993, une chambre où chaque objet a gardé la place qu'il occupait à l'époque de l'accident. J'ai retrouvé la vie et rien ne me fera me complaire dans cette façon de se souvenir. Mes souvenirs ne sont pas tous lumineux mais ils sont tous éclairés. Par ma lumière, par celle que je veux qu'ils aient, par celle qu'ils ont gagnée au long de notre histoire. Je ne tiens plus à partager l'image de Pierre avec qui que ce soit.

Je n'ai pas l'habitude de dire ou d'écrire des propos aussi durs sur autrui. Mais je sais ce que j'ai souffert, je sais ce que j'ai perdu, je sais ce que j'ai retrouvé et je ne permettrai à personne de démolir ce que je suis devenu.

4 commentaires:

Kab-Aod a dit…

Post terrible.
Si Pêr venait à disparaître avant moi, je pense que sa famille chercherait à garder avec moi le contact ; l'inverse n'étant pas vrai dans la mesure où ma famille ne tient déjà plus à continuer à nous connaître.
Dans ce genre de dilemme on est en droit de se demander ce qui blesse vraiment.

Calyste a dit…

Je l'ai écrit avec sérénité. Tout ceci, comme je l'ai dit, est maintenant bien en ordre en moi. La maison me manque encore. Pour les gens, j'ai tourné la page. Ce qui me surprend moi-même.

Lancelot a dit…

Et encore, et toujours, je vibre, je vibre.....

Merci, merci, merci

Ce que tu as écrit là -les trois derniers paragraphes surtout- m'aide. Beaucoup.

Revenir le relire, de temps à autre, quand mon ciel intérieur vire au gris....

Calyste a dit…

J'en suis heureux pour toi, Lancelot.