La fenêtre est ouverte. C'est lui qui l'a ouverte tout à l'heure: il voulait profiter du soleil. Toute l'odeur du parc en dessous de nous entre brusquement. Le lilas embaume jusqu'ici.
Nous avons déjeuné face à face, échangeant quelques rares mots directement. D'autres tiennent la parole et ne la lâchent que passagèrement. On les écoute, on sourit, on relance parfois quand il le faut. Mais peu de mots entre nous. Il me cite ses dernières lectures, pendant ces vacances, de la fantasy qu'il aime et que je connais peu.
Et puis nous sommes remontés tous les deux, pour corriger des copies. Lui, c'est la fin de ses dossiers d'autobiographie. Moi, un paquet de rédactions de sixième sur une nouvelle aventure d'Ulysse. Je lui dis que savoir qu'il va travailler me stimule et c'est vrai. Nous nous installons dans la salle de la machine à café qui ronronne interminablement avec parfois un soubresaut, comme si elle sortait de plusieurs minutes d'apnée. Nous nous asseyons face à face sur la table ronde.
Alors que nous étions jusque là silencieux, nous relevons au même moment la tête pour parler et c'est presque la même phrase qui sort de nos deux bouches: nous sommes des gens du dehors, le soleil nous attire à l'extérieur. Je pense, moi, à des corps nus. Je ne sais pas, lui, ce qu'il cache dans ses pensées.
Les autres collègues habituelles sont en réunion dans une autre salle. Nous sommes seuls longtemps. Précieuse parenthèse. Les stylos rayent, soulignent, tracent des commentaires ou des signes cabalistiques. Je le regarde parfois à la dérobée: il se frotte le haut du front et le début de la calvitie, doucement, attentivement, tendrement, comme j'aimerais le faire à sa place. Sa barbe fine est entretenue. Il a des doigts courts et fins cependant.
Parfois il relève la tête et me fait un sourire, un de ceux qui me font fondre à coup sûr, parce que donnés sans fard, dans la vérité d'une relation. Et j'en profite pour me noyer dans le bleu-vert de ses yeux. Je les regarde tant, ses yeux, quand il les plante dans les miens sans que nous déviions nos regards, comme heureux de se fixer longtemps, que je ne peux en préciser la couleur.
Nous nous arrêtons pour vérifier l'orthographe de "sylphide" dont nous ne sommes sûrs ni l'un ni l'autre. Chacun son dictionnaire. Un petit jeu entre nous, à celui qui trouvera le plus vite, sans que l'on ait besoin de se le dire.
D'habitude, entre collègues devant un paquet de copies, nous échangeons des impressions, nous citons les phrases d'élèves pour en rire, nous relevons les fautes d'orthographe les plus drôles. Avec lui, rien que le silence, l'odeur du lilas, le bercement de la machine, le soleil inondant la pièce et ses regards, ses sourires.
Plus tard, il me dit: "Mon père était comme toi de 52." Il m'a parlé de son père, de son suicide, de sa culpabilité à lui. Il m'en a parlé presque tout de suite, quand nous nous sommes connus. Puis il rajoute: "Tu pourrais être mon père." Nous avons vingt-cinq ans de différence. Je viens de m'en souvenir. Je pourrais être son père. Et cela me fait plaisir, comme une poche de tendresse immense au creux de l'estomac.
Il fait si beau dehors.
jeudi 23 avril 2009
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4 commentaires:
On respire, dans ce billet, autant le désir d'homme que le parfum des fleurs...
Je partage l'avis de Nicolas. Voilà la goût de la tendresse.
"il se frotte le haut du font"
(du fond...?)
Euh... ça se situe dans quel recoin, ça...? :-)
Mais oui, bien sûr : magnifique billet. Ca donne envie d'y être...
Mon dieu, on se prend une petite claque quand on commence à avoir des collègues qui pourraient Etre votre fils, votre fille.
Là où je me sens le mieux ? Au jardin, parce que c'est à la fois dehors et dedans, puisque le jardin est clos.
Sinon, bigre que ce texte respire: certains passages sont admirablement balancés.
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