Les Romains, outre leur Panthéon bien connu, croyaient en une infinité de petites divinités dont chacune, plus proches des humains, avait une spécificité bien à elle.
Chaque homme avait son "genius" (génie, appelé "Juno" pour les femmes) qui le protégeait, veillait sur lui et restait le compagnon intime de sa vie. Le genius sait tout, voit tout de son protégé, à l'image de cet ange gardien dont me parlait ma grand-mère, et meurt avec lui. Le mortel était tenu, à chacun de ses anniversaires, de célébrer son genius, représenté souvent, sur le laraire, une corne d'abondance à la main.
Les Manes (de "manus,a,um": bon, gentil) étaient des esprits protecteurs, en fait les âmes des défunts de la famille qui, à l'origine, les enterrait sous le sol de la maison pour bénéficier de leur bienveillance. On déposait souvent sur le lararium des offrandes à eux destinées et, lorsque l'on gravait une stèle funéraire, on prenait garde d'y inscrire leurs deux initiales en majuscules: D.M.
Dans les divinités traditionnelles du foyer, il y avait aussi les Pénates que l'on rejoint encore aujourd'hui après quelque agape extérieure. Ce sont les dieux "fournisseurs" (de "penus": provisions de bouche), qui s'occupent de fournir symboliquement la nourriture à la maisonnée, ainsi que de veiller à son confort et à sa prospérité. Associés à Vesta, la déesse du foyer qui veille sur le feu sacré dont la présence rappelle le pouvoir des dieux et garantit l'unité de la famille, ils sont confiés, lorsque la famille déménage, au paterfamilias qui est chargé de les mener à bon port jusqu'à la nouvelle demeure. Un tableau de Federico Barocci montre Enée, au moment de sa fuite de Troie, les confiant à son père Anchise qu'il porte sur le dos pendant que Iule se lamente à ses pieds.
Dernière, et non des moindres, divinité familiale, le Lare. A l'origine dieu protecteur des récoltes chez les Étrusques (de "lars": le chef), il devient, à Rome, le gardien de la maison. que, contrairement aux Pénates, il ne quittera jamais. Il bénéficie d'un lieu spécifique dans la domus: le lararium (laraire), sorte de "chapelle" privée avec autel et foyer, où sont abritées les statuettes des divinités tutélaires. Il y est honoré selon des rites sacrés. Chaque jour, par exemple, le maître de maison lui fait une libation en répandant un peu de vin sur son autel et en y déposant différentes offrandes comme de l'encens, des couronnes fleurs et de la nourriture prélevée sur le repas quotidien. Le jour de sa majorité, le jeune romain offre au Lare, en la lui passant autour du cou, sa "bulla", gros médaillon rond contenant des amulettes et reçue au moment de l'équivalent de son "baptême, au "dies lustricus" (jour de purification, se situant neuf jours après la naissance du garçon). Un auteur latin célèbre (j'ai oublié lequel) conseille à chaque homme, le soir venu, de faire plusieurs fois le tour de cet autel pour bénéficier d'une nuit sereine. (N'est-ce pas, plus ou moins, ce que je fais chaque soir chez moi avant de me coucher ?).
J'ai repensé à tout cela en lisant le roman de Michèle Lesbre, La Petite Trotteuse, où une jeune femme passe son temps à visiter des maisons à vendre, à la recherche de ses propres souvenirs pourtant vécus ailleurs. Intruse dans cet univers, elle y ressent encore, comme je le ressens chaque fois que je pénètre dans un lieu inconnu autrefois habité (la maison de Paulette par exemple), la présence de ceux qui y ont vécu, souffert ou joui. Comme si la maison avait été imprégnée à tout jamais de ceux qu'elle avait protégés, comme si chaque maison était, elle aussi, un être vivant se souvenant. N'est-ce pas la preuve de la permanence aujourd'hui de ce Lare que les Romains vénéraient tant ?
samedi 8 juin 2013
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5 commentaires:
En te lisant je me demandais si le djinn de la tradition arabe, qui remplit à peu près les mêmes fonctions que le genius, avait un rapport en terme d'étymologie. C'est sans doute un a peu près, mais c'est troublant, non ? je m'en vas voir ça de plus près.
Quant aux présences des anciens habitants dans les maisons, ça c'est quelque chose qui me parle très fort. Un jour j'en dirai deux mots dans une note. Tu m'inspires, Calyste ! :)
J'apprends des choses intéressantes car je suis quelque peu inculte sur ces choses là (pas seulement celles-là). Jusque là, je n'ai jamais vécu dans la maison de quelqu'un de la famille ou de proches, alors je n'ai jamais rien ressenti de choses comme tu en parles, mais je le conçois aisément. Je ne parle pas des inconnus qui ont vécu, car bien entendu, je ne crois pas aux fantômes.
La plume: Tiens, je n'avais pas fait le rapprochement. Ce serait étonnant mais après tout, pourquoi pas.
J'ai toujours ressenti ça, ou imaginé, dans les maisons vides. Ce qui m'émeut beaucoup aussi, c'est quand on les abat, et que l'on voit de la rue un bout de papier peint, un reste d'évier, un début d'escalier...
Cornus: si, les inconnus aussi. J'ai toujours l'impression qu'il en reste quelque chose, comme une trace d'écriture sur un vieux buvard.
Oui, rien à voir avec les revenants ou autres élucubrations dont je parlais hier. D'ailleurs, les traces sur les vieux buvards ont des réalités bien tangibles, notamment quand on vit comme nous dans une vieille maison agrandie, réaménagée, redécorée... Bien plus qu'une âme. De quoi aussi engueuler les anciens propriétaires quand tant de choses ont été faites en dépit du bon sens.
Cornus: ça sent le vécu, tout ça...
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