mardi 11 juin 2013

La servante

" Petite lumière discrète dans les entrailles obscures d'un théâtre déserté et silencieux, la servante veille. C'est ainsi qu'on la nomme. Elle veille sur le sommeil des coulisses, sur celui de la scène où les voix se sont tues jusqu'au prochain lever de rideau, sur l'immobilité des décors, la vacuité de la salle où le public a laissé derrière lui une traîne qui flotte au-dessus des fauteuils, une note suspendue, à peine audible, qui peu à peu s'évanouit."
( Michèle Lesbre, La Petite Trotteuse. Gallimard)

Le début du dernier chapitre du roman, intitulé Le Silence. Je me suis arrêté sur cette page, je l'ai lue et relue encore. Je viens de la relire à nouveau. Parce qu'elle m'évoque tant de choses. Lorsque j'emmène mes élèves visiter un théâtre, je sais que je la verrai allumée. J'entre toujours le premier dans la salle, pour profiter du moment de silence, pour sa faible clarté dans cet univers vide et pourtant rempli d'échos et de murmures: ceux des comédiens qui ont piétiné les planches, ceux du texte que l'on a lancé au public de l'autre côté de la rampe, ceux aussi de celui qui a écrit les mots et dont je crois toujours apercevoir le fantôme disparaissant, à notre arrivée, derrière le décor assombri. Moment de profanation, comme si l'on entrait chez autrui pendant son absence et que l'on découvre les mystères de son lit défait. Moment d'intimité parce que l'on est enfin chez nous.

Lumière rassurante et humble, feu sacré qui perdure jusqu'à ce que la vie reprenne. Elle me parle dans son silence et me dit la vie, les univers, le mouvement des comètes et les voix de l'ailleurs.

Petite spectatrice des mondes imaginaires, elle a quelque chose d'émouvant, parce qu'elle témoigne des riens ou des grands faits guerriers de ses armées mythiques aujourd'hui disparues, des amours emportées et des promesses de l'aube.

Elle me touche parce que je crois que j'écris ici pour la même raison qu'elle, elle éclaire: garder la vie encore un peu, ne pas laisser gagner les ténèbres, raconter, raconter, à qui veut bien l'entendre, à soi même parfois, à soi même surtout, la vie qui passe, les plaisirs et les jours.

3 commentaires:

Uwe Grimm a dit…

Oh quel beau billet!
Et qui résume tellement bien les plaisirs, celui, pour toi, d'écrire, celui, pour nous, de te lire.
Jérôme

Unknown a dit…

Oui très beau.

Calyste a dit…

Jérôme: merci, ça me fait plaisir

La plume: pareil, bien sûr.