En passant par Uzès, je n'ai pu m'empêcher, comme chaque fois, de faire un détour pour m'arrêter devant l'ancienne maison de mon ami Paul, décédé un mois seulement après Pierre. Paul était, après avoir écrit quelques romans policiers en collaboration avec un autre auteur et un roman seul, traducteur de l'anglais et de l'italien. Il habitait Paris, sur l'île Saint-Louis, un appartement assez inconfortable mais superbement placé et avec une vue magnifique sur la Seine.
Je l'avais rencontré à Lyon, à la soirée des trente ans d'un ami: un vieux monsieur déjà, que j'avais jugé, au premier coup d’œil, passablement laid et snob et qui m'avait relativement peu intéressé. Pourtant, à mon séjour suivant dans la capitale, j'avais repris contact avec lui, et c'est à cette occasion que je l'avais vraiment découvert.
Passionné de littérature et prodigieusement cultivé, il m'entretenait pendant des heures de ses passions littéraires et de sa vie passée. Ami de Sacha Pitoeff (que j'eus un jour au téléphone en son absence) et de Guy Tréjean, il incarnait à lui seul la société cosmopolite de l'avant-guerre. De père russe et de mère autrichienne, il parlait et écrivait un français impeccable et avait pris, sans doute pour se faciliter la tache (ou celle de ceux qui, ensuite, lui fournirent du travail) un pseudonyme sous la forme d'un deuxième prénom.
Sa maison d'Uzès me laisse encore aujourd'hui de plus beaux souvenirs que son appartement de Paris. J'y descendais tous les étés, en empruntant la Nationale 86, à l'époque bordée de roses trémières. Je mettais quatre heures à faire le voyage. Je n'étais pas pressé et appréciais de voir peu à peu arriver ma destination: j'aime sentir que je me déplace, impression que ne donne pas un voyage en avion, à mon avis.
Plusieurs fois, je pris des billets pour les nuits musicales d'Uzès qui, ensuite, furent englobées dans le festival de Montpellier. Je me souviens en particulier d'une Symphonie Fantastique dirigée par Emmanuel Krivine dans la cour de l’Évêché où le chef avait dû s'interrompre au milieu d'un mouvement pour laisser à l'horloge le temps d'égrener les coups de l'heure tardive. Souvenirs aussi de restaurants et de marchés faits sur la Place aux Herbes, de descentes au Parefeuille, la meilleure librairie d'Uzès. Et la douceur des nuits, et l'odeur de la garrigue, et le chant des cigales.
La maison comportait un rez-de-chaussée et deux étages, avec une seule pièce à chaque niveau: en bas
la cuisine, au premier la chambre d'ami dont la fenêtre donnait sur la vigne qui fournissait, chaque automne, quelques grappes de raisin, et, tout en haut, la sienne propre. Un après-midi où nous faisions la sieste chacun dans nos appartements, je l'entendis descendre l'escalier de pierre en colimaçon. Comme j'avais encore envie de me prélasser, je fis semblant de dormir. Avec la chaleur du mois d'août, j'étais nu sur mon lit, couché sur le ventre. Il m'appela une fois, je ne répondis pas. Alors, il ouvrit la porte et me regarda longtemps, sans bruit, sans bouger, vieil homme se délectant de la vue de la chute de reins et des fesses d'un homme beaucoup plus jeune. Je ne désirais rien de sexuel avec lui mais je lui fis ce cadeau, parce que je l'aimais bien. Un long moment après, il referma la porte et descendit à la cuisine.
Le soir, il m'"avoua" sa curiosité et le plaisir qu'il y avait pris. Aujourd'hui encore, je ne regrette pas d'avoir agi ainsi. Il n'y avait que de la pureté dans son geste et dans le mien.
mardi 14 mai 2013
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2 commentaires:
Tu en connais du beau monde. On ne va plus oser se présenter devant toi !
Charmante note.
Cornus: je "connaissais" serait plus exact.
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