Annie, la documentaliste du collège avec qui j'organise l'atelier écriture, sait que je ne me résous pas à jeter un livre. Et elle en profite: chaque fois qu'elle veut se débarrasser d'un ouvrage parce que trop vieux ou plus emprunté par les élèves depuis des années, elle me le propose. Elle sait que je refuse rarement.
L'autre jour, son cadeau m'a fait particulièrement plaisir: il s'agit du roman de Théophile Gautier, Le Capitaine Fracasse. Non que je tienne particulièrement à ce récit, que d'ailleurs je n'ai jamais lu entièrement, ni à son auteur que je connais assez peu. Le plaisir vient de l'objet lui-même, un livre à couverture bordeaux avec quelques filets d'or sur le dos, publié en 1963 par la Société coopérative Éditions Rencontre de Lausanne. En 1963, j'avais onze ans et j'allais peu de temps après découvrir la littérature. Les livres que j'allais emprunter à la bibliothèque municipale étaient souvent semblables à celui-ci, des mêmes éditions coopératives de cette ville du canton de Vaud.
J'ai retrouvé, en ouvrant l'ouvrage les deux R adossés, l'un à l'endroit, l'autre à l'envers, qui étaient en quelque sorte la marque de fabrique de cette société. A la page suivante, il y avait toujours le portrait de l'auteur, Gautier ici, petite photo en noir et blanc encadrée d'un trait rouge épais suivi d'un plus fin à l'intérieur du premier. C'est ce qui me plaisait dans ma jeunesse: j'avais ainsi l'impression de mieux connaître les auteurs, d'être un de leurs proches en auscultant attentivement leurs portraits avant de me plonger dans la lecture.
On trouve parfois, au cours des pages, le tampon de l'établissement, Institution Ste Machine puis, plus tard, Collège St Truc, marque de propriété dont les lettres d'une encre bleue trop pâle commencent à ne plus guère être visibles. L'adhésif qui sert à maintenir le plastique transparent de la couverture protectrice a laissé des marque qui, avec les années, semblent avoir rouillées tandis que le papier jaunissait irrémédiablement. Il y a toujours, sur la dernière page les tampons de retour du prêt: ce roman n'est pas sorti depuis octobre 1996. Treize à dormir sur une étagère.
Et juste avant les tampons, ces quelques mots, totalement incompréhensibles, pour certains, dans mon enfance (et qui le sont bien souvent restés aujourd'hui) mais qui me faisaient et me font toujours rêver:
Achevé d'imprimer sur les presses de l'imprimerie Gerber et Daengeli, à Vevey, le 15 mai 1963. Le texte a été composé en caractère Diethelm Corps 9/10 et le tirage exécuté sur papier apprêté des papeteries Albert Ziegler S.A. à Grellingen. La reliure est due aux soins de Busenhart, à Lausanne..
Évocation des noms propres, la neige, les cheminées, le pain d'épices, le coin douillet de l'âtre. Hommage aussi à ce savoir-faire inégalé des fabricants du livre: on dirait que ça sent l'atelier. Mais surtout magie des mots étranges: qui sait aujourd'hui ce qu'est le papier apprêté et le caractère Diethelm Corps 9/10? Qui?
mardi 6 octobre 2009
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4 commentaires:
Ouff.... sensation bizarre de lire un texte que j'aurais pu écrire moi-même, mot pour mot, sauf que tu es bien plus fort que moi pour retranscrire les sensations. Quand Il s'agit (aussi) des miennes, c'est très vexant, d'ailleurs.... GNEU.
C'est exactement ça : notre mentalité de drogués de livres, de sniffeurs d'encre d'imprimerie. Je rejoignais aussi KarregWenn quand elle commntait ton autre note en disant que lorsqu'elle achète des livres d'occasion, elle adore retrouver des noms sur la page de garde ou, encore mieux, des commentaires écrits.
Aimer les livres, c'est aimer les autres, surtout. Les personnages qui les habitent, les auteurs qui les ont écrits, les autres personnes qui les ont aimés. En tournant des pages, on serre des mains. Ca confine à la schizophrénie, mais c'est une folie bien douce.
Attention de ne pas s'y enfermer pour autant car, dans ce cas, l'autre n'existe plus ou, comme sur le net, n'existe que de façon virtuelle.
Je ne t'ai pas trouvé si virtuel que ça en mai dernier, pourtant on s'était rencontrés sur le net au préalable !
M'enfermer, moi ? Jamais. j'ai mon TiNourslactyl !
C'est une exception qui, sans doute, confirme la règle, Lancelot. Pourtant, à parler vrai, il est encore certains de mes lecteurs et -trices qu'il me plairait de rencontrer!
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