J'ai lu que l'on parlait beaucoup ces derniers temps, dans des blogs parallèles comme les vies du même nom, de prénoms attribués et diversement appréciés par ceux qui les portent toute une vie. Dame k. et Sire Lancelot me permettront sans doute d'apporter ma pierre en humble contribution à l'érection de cet édifice à tendance onomastique.
Autrefois, dans Charlie Hebdo, nous avions droit aux "Unes auxquelles vous avez échappé". Eh bien, je vais commencer par là car,croyez-moi, côté prénom, je reviens de loin, et de pas beau!
Lorsque je suis né, au siècle précédent (pas la peine de commencer à rigoler, vous êtes tous dans le même cas, vous qui me lisez. En tout cas, je le souhaite: pas envie de finir comme Polanski), au doux siècle portant le numéro tout rond de vingtième, il était d'usage d'affubler le nouveau venu d'au moins trois prénoms.
Mais pas n'importe lesquels. Bien sûr, le premier qui, en général, devenait l'usuel, était emprunté au parrain: si Jules était le parrain, Jules vous étiez vous-mêmes. Il n'y avait même pas à se poser de questions. C'est ainsi que, dans ma famille, on ne comptait plus les Claude et les Jean, à tel point que certains d'entre eux, pour acquérir une existence plus tangible, étaient obligés de choisir comme prénom usuel le deuxième de leur liste personnelle. Ainsi Claude devenait.... Jean et Jean devenait... Claude, bien sûr. Ce qui, vous l'aurez remarqué, arrangeait considérablement la situation.
Le deuxième saint patron venait de la marraine, quasi systématiquement. Si le bébé était de sexe viril, on masculinisait le prénom féminin. Cela donnait parfois des choses assez cocasses. Quand au troisième, il constituait le seul espace de liberté laissé par des siècles de traditions immuables: le Mos Majorum s'arrêtait à la porte du dernier élément de la triade. Mais comme la nature a horreur du vide, et les tout frais parents encore davantage, on calfeutrait vite le courant d'air vivifiant et novateur en donnant à porter à l'innocent bambin le prénom de son frère aîné mort-né ou n'ayant accepté de sucer la vie que quelques jours, et encore du bout des lèvres, l'andouille.
Pour mon propre cas, ce fut un peu plus compliqué. Deux femmes s'affrontèrent, comme deux reines dans les alpages suisses et savoyards au cœur de l'été. Aucune d'entre elles n'ayant réussi à pousser l'autre à l'abandon, on trouva un compromis qui, avec le recul, m'arrange bigrement. Pour ceux qui ne suivent que difficilement, je parle ici de ma mère et de ma grand-mère paternelle.
L'ancêtre, en dominatrice ayant l'habitude de commander et d'être obéie, fit rapidement savoir que l'on se devait, dans la famille respectable que nous constituions, de donner à l'aîné le prénom de son grand-père décédé. Elle voulut donc imposer Honoré. La parturiente, nullement décidée à se laisser mener par le bout du prénom mais hésitant encore à déclarer une guerre ouverte répliqua à mon pauvre père coincé entre deux feus, que, si je portais le prénom de mon grand-père paternel, il était équitable que je portasse (imparfait du subjonctif dont la légèreté phonique me semble convenir ici, dans les prémices d'une bataille sanguinaire), que je portasse, disais-je (ah! cette manie des parenthèses!) celui de mon grand-père maternel, tout aussi décédé que l'autre. Ainsi aurait-on vu apparaître sur mon acte de naissance ainsi que sur tous les diplômes, innombrables, que j'engrangeai par la suite, le doux prénom, sans doute jamais porté que par moi seul, de Barthélémy-Honoré (ou Honoré-Barthélémy, comme vous voulez: on ne va pas réchauffer les braises de la discorde).
Refus catégorique de l'ancêtre. Alors on finit par se mettre d'accord sur un nouveau prénom, encore jamais porté dans la famille. Vous vous rendez compte du cadeau: j'étrennais une nouvelle façon de nous appeler! Mais je n'étais pas encore garé des voitures. Car la suite, on me l'appliqua mot à mot: la tradition respectée. Faut pas non plus pousser avec l'innovation.
Ainsi, en troisième prénom, je reçus celui qui, aujourd'hui, ne me déplait plus trop, celui de mon parrain: Joseph. La médaille d'argent revint à l'ancêtre femelle qui avait aussi obtenu le droit d'être ma marraine. Comme elle se prénommait Reine, il eût été difficile de m'appeler Roi (quand je vous disais que je reviens de loin!). Alors on adapta son deuxième prénom à elle. Et là, j'ai gagné le gros lot, le tirage exceptionnel, celui dont on se souvient toute sa vie, dont on parle encore trois-quarts de siècle plus tard à ces petites-enfants bavant de conserve avec vous (pour moi, cela risque d'être à un chien des rues que je confie mes attendrissements et ma bave). D'Augusta, on fit de moi un Auguste (très souvent abrégé, dans la région, en un délicieux "le Guste"!). Notez cependant que pour un futur prof de latin, le choix ne manquait pas d'à propos. De plus, j'eus la maigre consolation, quelques années plus tard, de voir mon frère écoper de la même peine puisqu'il hérita d'un Auguste sorti tout chaud de l'autre grand-mère: Augustine.
Souvent les gens qui me connaissent à peine m'appellent par erreur Claude (encore!) ou Bernard (c'est mon cousin). Comment aurais-je aimé m'appeler? Je n'en sais fichtrement rien. J'aime les prénoms simples et classiques, comme Pierre, Jean, Jacques, Paul ou Luc. Mais, même si mon prénom n'est plus guère porté aujourd'hui en France (contrairement aux pays anglo-saxons où il n'est pas trop passé de mode), même si quelques humoristes finauds comme ils savent l'être en ce moment dans leur presque majorité (fiel gratuit) s'en servent parfois à des fins drolatiques, il ne me déplaît pas. Pensez donc: je l'entends depuis cinquante-sept ans. Ce n'est pas aujourd'hui que je vais en changer. En revanche, n'essayez pas, pour me plaire, de le diminuer de quelque manière que ce soit: j'ai horreur des diminutifs (sauf pour ma sœur, mais c'est, dès l'enfance, devenu son vrai prénom).
Quoi? Qu'y a-t-il? Je vois que l'on s'agite, que l'on me fait des signes du fond de la salle. Parlez plus fort, je n'entends pas. Que dites-vous? Mon...? Mon prénom? Je ne l'ai pas encore donné? C'est ma foi vrai! Comme je suis étourdi! Eh bien mais devinez donc! Attention: on ne souffle pas. J'en surveille certains du coin de l'œil.
Un indice? Bon d'accord, mais c'est bien parce que c'est vous. Pas trop facile tout de même. Disons que j'ai le même prénom qu'un grand écrivain autrichien (1880-1942) qui n'est pas.... sans qualités. Ça vous dit quelque chose?
jeudi 8 octobre 2009
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10 commentaires:
Comme Redford ?
Ca, c'est gentil. Tu aurais pu dire comme "l'Éponge"!
Ah bon, l'Eponge s'appelle Redford ?
Robert Musil, si je puis me permettre, est né en 1888...
Robert Musil est né en 1880, ça pourrait coller !
Tu es à jeun, Olivier?
Nanouche, vous pouvez vous permettre mais, après multiples vérifications, je confirme la date de 1880. Bienvenue ici, quoi qu'il en soit.
Ça pourrait, en passant!
Y a pas que Redford aussi, dans tes célèbres homonymes : Conrad, Stack, Wagner, Taylor, Mitchum (...à vos souhaits !), Lamoureux (tout un programme...), Hossein, De Niro... Des talents variables, mais physiquement c'est très bien, tout ça, non....?
Par le badinage bloguesque alléché, j'ai également trouvé sur internet :
Robert COURTECUISSE : duc de Normandie, fils de Guillaume le Conquérant (1054-1134)
Robert GROSSETÊTE : franciscain et érudit anglais (1170-1253)
IMPAYABLE, non ???
Sinon, j'ai (encore) appris un nouveau mot grâce à toi : "onomastique". J'ai pas encore ouvert mon dictionnaire, mais je me laisse bercer par la sonorité : onomatopée, onanisme, mastiquer... tout ça compose un magnifique champ mental, sinon lexical...
Enfin, comme je l'ai dit chez KarregWenn, ma garce préférée : pour le règlement du copyright des (sublimes) idées de sujets de notes, vous pouvez envoyer les chèques à ma secrétaire. On accepte aussi American Express. ;-)
Je n'ai jamais rencontré personne qui se prénommait comme moi. À vrai dire, je doute même parfois qu'il en existe un deuxième en France (je sais qu'en revanche mon prénom existe en patronyme dans l'Est). Cependant il existe un grand nombre de dérivés.
Je porte un prénom monosyllabique de six lettres et je dois régulièrement souligner qu'il ne s'agit pas d'un diminutif. J'insiste également pour que la dernière lettre soit prononcée (sinon je ne me reconnais pas).
Il est parfois difficile à porter parce qu'il évoque immanquablement un personnage universellement connu.
Tu trouves ? :)
Ah oui, et aussi : mon prénom est le fruit d'une incompréhension entre mon père et l'employé de la mairie le jour de ma déclaration. Une erreur que mes parents n'ont pas eu le courage de corriger.
C'est toute l'histoire de ma vie : je n'ai pas été désiré et l'on m'a attribué un mauvais prénom ! ^^
Mon conjoint, lui, fait partie d'une situation que tu cites : il porte, d'une façon à peine masquée, un prénom similaire (consonantique) à celui de son aîné, mort d'une méningite dans ses premiers mois...
Sinon je partage ton mépris des diminutifs. D'où mon incapacité à interpeler KarregWenn autrement qu'en prononçant entièrement son prénom dont elle revendique pourtant la version courte.
PS : Comme je suis d'une génération et d'un milieu qui le favorisait, j'ai pour second et troisième prénoms ceux de mes grands-parents, tout deux décédés avant ma naissance : Gé*rard et Eu*gène (je l'ai échappé belle !).
Non, Kab-Aod, je ne trouve pas. Mais je cherche encore, je ne donne pas ma langue au chat.
Courtecuissse et Grossetête! Mais c'est tout moi, ça, Lancelot!
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