Décidément, j'ai de la chance ces jours-ci dans le choix de mes lectures: deux livres successifs qui m'emballent, ce n'est pas si fréquent! Cette fois-ci, il s'agit de deux récits de Nosaka Akiyuki, La Vigne de morts sur le col des dieux décharnés et La Petite Marchande d'allumettes. De cet auteur, j'ai lu précédemment La Tombe des lucioles qui m'avait déjà bien accroché et dont, je crois, il a été tiré un film.
Le premier récit nous emmène dans une saga familiale (rapide) sur l'île de Kyûshû: la fille d'un mineur ayant fait fortune se prend de passion pour les fleurs blanches qui poussent particulièrement vivaces sur les tombes du petit cimetière de la mine. Elle tente de les implanter dans son jardin mais les fleurs s'étiolent et meurent. Elle va très vite découvrir ce qu'il faut faire pour nourrir ces plants étranges. Récit à la fois merveilleux (au sens des contes de fée) et sinistre, plein d'érotisme et d'horreur, écrit dans une langue parfaitement classique qui, selon moi, en rend la lecture pleinement jouissive.
La seconde histoire, beaucoup plus courte, est une adaptation inattendue du conte d'Andersen qui n'a rien à envier, pour la morbidité et l'horreur, à la précédente. Une jeune fille se livre au premier venu pour essayer, bien inutilement, d'étreindre le souvenir d'un père qu'elle n'a jamais connu et qui lui manque. Des odeurs de mâles de ceux qui abusent d'elle et de leur sauvagerie sexuelle, elle tire le bonheur de se croire dans les bras de l'absent et en éprouve une extase indicible. Ce récit aussi est raconté avec un art accompli de la narration et l'on ne sait, en refermant le livre, si l'on va en conserver le malaise face à ce qui est écrit ou le plaisir tiré de la façon dont cela est écrit. Une petite centaine de pages d'un haut niveau littéraire, à mon goût bien sûr.
Quand il fut près de minuit, les étals de Kamagasaki fermèrent. A la différence des nuits d'été, on ne voyait pas les dockers se pencher aux fenêtres de leurs galetas pour hurler des invectives, et les vagabonds allongés sur les bancs du parc, couverts de feuilles de journal empilées, avaient tout lieu de craindre de ne pas voir le jour se lever. Oyasu, épuisée, se laissa glisser, accroupie, au pied d'une souche du parc de Misumi où sifflait la bise. Elle tenait dans sa main gauche la boîte dont elle avait sorti une seule allumette, et déjà elle semblait ne plus sentir le froid. (....). (Elle) gratta soudain l'allumette qui s'embrasa comme un feu préparé pour accueillir l'âme d'un mort, aussitôt soufflée par le vent. Alors elle recommença mais, cette fois, elle écarta d'abord les pans de son kimono et se courba en avant. Quand elle sentit la légère tiédeur monter vers son bas-ventre, mue par une impulsion soudaine, elle enflamma les trois dernières allumettes en même temps et les inséra précautionneusement entre ses cuisses, goûtant avec une joie extatique la douleur de sa peau léchée par les flammes.
- Papa, tu es là, je suis réchauffée maintenant.
(Traduction de Corinne Atlan, Ed. Picquier poche n°193)
jeudi 29 octobre 2009
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