Lorsque ma collègue m'a prêté ce livre, suite à un cours en commun avec la professeur d'Arts, je ne savais pas que ce récit existait: la narration par deux survivants du naufrage de la Méduse et des conditions de sauvetage épouvantables qui s'en suivirent, non seulement pour les hommes abandonnés sur un radeau mais également pour ceux présents sur les canots ou restés à bord du navire ensablé.
Alexandre Corréard était géographe, Jean-Baptiste Savigny débutait sa carrière de chirurgien de marine. Tous deux faisaient partie de l'expédition envoyée de France pour reprendre légalement possession d'une colonie, le Sénégal, que les anglais occupaient depuis sept ans. Le drame eut lieu en 1816, un an après la défaite de Waterloo par Napoléon Ier et le départ de l'empereur pour Sainte-Hélène.
C'est un récit très intéressant car non seulement, bien sûr, il éclaire d'un jour nouveau le tableau de Théodore Géricault, Le Radeau de la Méduse, que l'on regarde ensuite d'un œil un peu différent, mais il permet, outre le drame atroce qui se joua là en quelques jours, de mieux comprendre les circonstances historiques de cette affaire qui fut l'un des grands scandales politiques du XIX°siècle.
Le récit ne se contente d'ailleurs pas de relater le naufrage dû à l'incompétence du commandant Duroy de Chaumareys, marin d'avant la Révolution, royaliste un temps en exil, qui n'avait pas navigué depuis vingt-cinq ans, mais retrace également le long calvaire des rescapés dans les dunes du Sahara, en proie aux caprices des tribus maures puis abandonnés pour la plupart à leur triste sort par les autorités françaises. Il serait trop long d'expliquer ici le pourquoi et le comment de tant d'indifférences ou de lâchetés successives. Pour ma part, j'ai trouvé ce récit passionnant d'un bout à l'autre, parfaitement illustré, en plus du témoignage des deux auteurs, par ceux d'autres rescapés qui témoignèrent ensuite aux différents procès. Seule la toute dernière partie, qui n'a rien à voir avec l'affaire, mais présente cette région d'Afrique occidentale sous un aspect géo-économique, m'a moins retenu. Je conseille vivement de lire ce livre bien écrit, souvent surprenant, toujours captivant et, si l'on est intéressé, de se pencher sur les différentes esquisses réalisées par Géricault avant de peindre définitivement son chef-d'œuvre.
Un nouvel événement, car tout était événement pour des malheureux pour qui l'univers était réduit à un plancher de quelques mètres que les vents et les flots se disputaient au-dessus de l'abîme; un événement donc vint apporter une heureuse distraction à la profonde horreur dont nous étions saisis. Tout à coup un papillon blanc du genre de ceux qui sont si communs en France, nous apparut voltigeant au-dessus de nos têtes et se posa sur notre voile. La première idée qui fut comme inspirée à chacun de nous nous fit regarder ce petit animal comme l'avant-courrier qui nous apportait la nouvelle d'un prochain atterrage, et nous en embrassâmes l'espérance avec une sorte de délire. Mais c'était le neuvième jour que nous passions sur notre radeau; les tourments de la fin déchiraient nos entrailles; déjà des soldats et des matelots dévoraient d'un oeil hagard cette chétive proie et semblaient près de se la disputer. D'autres, regardant ce papillon comme un envoyé du ciel, déclarèrent qu'ils prenaient le pauvre insecte sous leur protection et empêchèrent qu'il ne lui fût fait de mal. Nous portâmes donc nos vœux et nos regards vers cette terre désirée que nous croyions à chaque instant voir s'élever devant nous. Il est certain que nous ne pouvions en être éloignés car des papillons continuèrent les jours suivants de venir voltiger autour de notre voile, et le même jour nous en eûmes un autre indice non moins positif, en apercevant un goéland qui volait au-dessus de notre radeau. Ce second visiteur ne nous permit pas de douter que nous ne fussions très approchés du sol africain, et nous nous persuadâmes que nous serions incessamment jetés sur le rivage par la force des courants. Combien de fois alors, et dans les jours suivants, n'invoquâmes-nous pas une tempête qui nous jetât à la côte, qu'il nous semblait que nous allions toucher.
(A. Corréard et J-B. Savigny, Le Naufrage de la Méduse, Gallimard folio n°4262)
lundi 19 octobre 2009
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