Ce matin, dans mon casier, je trouve un livre de poche offert par un éditeur, comme souvent en début d'année. Ainsi ai-je pu amasser au cours de ma carrière une trentaine d'exemplaires des Fourberies de Scapin tant les chargés de publicité dans ces maisons font facilement preuve d'originalité.
Mais aujourd'hui, il ne s'agissait pas de la trente et unième version de notre grand comique national dont, entre nous, je fais en ce moment une indigestion sévère, comme avant lui pour Pagnol. Le livre donné était Un Conte de Noël (ou Un Chant de Noël), de Charles Dickens. Bien que l'ayant lu depuis fort longtemps, j'étais tout de même heureux de le retrouver dans une nouvelle édition toute de bleu et rouge vêtue.
Mais je ne tardai pas à me rendre compte que l'on avait changé son titre: en gros caractères rouges s'étalaient sur la première de couverture les mots suivants: Le drôle de Noël de Scrooge. Le nom de Dickens apparaissait toujours en haut mais, plus près du titre attirant l'attention, on pouvait lire, en noir sur fond pâle, un autre nom: Disney.
Ainsi donc, parce que les studios états-uniens sortent un film fin novembre (bien sûr tout près des fêtes de Noël), le Livre de Poche croit bon de rééditer cet ouvrage et de nous faire parvenir non seulement un exemplaire du Conte mais aussi une plaquette comprenant (je cite) "un dossier d'accompagnement pédagogique édité par les studios Disney"!
Là, je crois rêver. Voilà Disney qui se met au pédagogique. De qui se moque-t-on? Depuis quand Mickey et Donald peuvent-ils rivaliser avec les classiques du XVII°? A-t-on besoin de la machine industrielle capitaliste d'outre Atlantique pour savoir ce que nous devons enseigner et comment l'enseigner? Et quelle magnifique image du métier d'éditeur! Il y a bien longtemps que je me doutais de la main mise totale du système du profit sur les lettres françaises et internationales mais là, le message est clair: on ne cherche plus la beauté d'un texte, son esthétisme rare et subtile, son style personnel et créateur de rêves. Au contraire, on marche main dans la main avec la grosse artillerie lourde qui, insidieusement, année après année, lamine notre culture plus fine et plus légère pour imposer à tous identité de vue et de désir.
A quand la disparition totale du nom de l'auteur, comme c'est déjà le cas sur la couverture de la plaquette, où seul la signature de Disney subsiste? Et ce qui m'énerve par dessus tout, c'est la réaction d'un de mes collègues de français qui se trouvait dans la salle des professeurs au même moment avec sa fille de cinq ans: au lieu de s'indigner comme moi, elle a pris un air extasié en disant à sa fille immédiatement séduite: "Regarde, chéri, c'est Disney!".
Il y a des jours où je me dis que, décidément, je suis d'un autre âge! Et j'en suis heureux.
PS: Cerise sur le gâteau, que je viens de découvrir. En dernière page, un message que je vous livre in extenso: Pour l'éditeur, le principe est d'utiliser des papiers composés de fibres naturelles, renouvelables, recyclables et fabriquées à partir de forêts qui adoptent un système d'aménagement durable. En outre, l'éditeur attend de ses fournisseurs de papier qu'ils s'inscrivent dans une démarche de certification environnementale reconnue.
De quoi pourriez-vous vous plaindre? On vous baise et ensuite, on vous tend le papier pour vous essuyer. Fibres naturelles, on vous dit!
vendredi 2 octobre 2009
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4 commentaires:
Elle est belle ta colère, Calyste !
Et rassure-toi, elle n'est pas d'un autre âge. Je connais bien des "jeunes" qui la partageraient si on leur mettait ça sous le nez.
Ils nous prennent vraiment pour des demeurés.
À quand le Dysneyland solidaire et équitable ? Beuark....
Même réaction de ma part, en découvrant ce joli petit ouvrage dans mon casier... Un sentiment de colère envers cet éditeur, envers la rouleau compresseur de la mécanique marketing... L'espoir toutefois que certains découvrent Dickens?! Puis le concours ridicule proposé par l'éditeur, ridicule par le sujet choisi et la récompense proposée... Non, décidément non!!
D'un autre âge...Ouhlà ! Ça ne sent pas la pâte à papier recyclée : ça sent le sapin ce genre de constatation... :)
J'aime ton indignation aussi, Dame K.
Mais je pense qu'ils ne reculeront devant rien.
Bonjour CC: un casier? Donc une salle des profs? Donc un ou une prof? Bienvenue ici, collègue.
Mais pas du tout, Nicolas, ou alors le sapin bien enraciné, à la résine claire et odoriférante, lançant son sommet vers des cieux toujours bleus....
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