Retour d'Italie. Retour à mes certitudes. Un Nuage comme tapis, de Erri De Luca. Quatorze courts chapitres à partir de sa lecture de la Bible. Tout comme Le Noyau d'olive, en plus rude cette fois-ci. Pas de glose, une lecture personnelle à la fois savante et intuitive, froide comme le raisonnement sur l'étymologie et tendre comme l'amour que l'on porte à un texte. On n'est pas sûr de tout comprendre, on suit le raisonnement et puis l'on s'égare dans le sien propre. J'ai déjà fait la même remarque au sujet de Jean-Bertrand Pontalis. On s'évade de soi dans le livre et l'on s'évade du livre dans le soi, sans se perdre, jamais. En voilà deux dont j'ai peur qu'un jour, ils n'écrivent plus.
L'Hébreu fouillait dans sa langue écrite, gravée dans la pierre, pour en extraire les nombreuses significations. "Dieu a dit une chose, j'en ai entendu deux", annonce le psaume 62. Mais un traité du Talmud élevait en puissance les sens contenus dans un même passage: "Comme un marteau fait éclater le roc (Jérémie 23,29) signifie que comme un marteau fait éclater le roc en une multitude de fragments, ainsi un même passage de l'Écriture a de nombreuses significations." L'Hébreu tentait de saisir les étincelles de sens qui se dégageaient de chaque phrase, de chaque mot.
Le Grec s'occupait de sa "langue jardin" comme Adam dans l'Éden, en nommant les choses qui porteraient pour toujours, dans d'autres langues le nom qu'il choisissait. Esprits, accents, formes infinies du verbe étaient la matière d'un idiome exubérant, malléable, qui se prêtait aux nombreux pieds d'un vers, aux métriques suaves comme aux théorèmes de géométrie. Le Grec remplissait ses bibliothèques d'œuvres parfaites: poèmes, drames, histoires et cosmogonies mentales de qui se déclarait ami du savoir, à la lettre: philosophe.
(Trad. de Danièle Valin)
mardi 18 août 2009
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5 commentaires:
Je possède encore dans ma bibliothèque tout le matériel nécessaire pour traduire l'hébreu et le grec bibliques.
Mais c'est en particulier des cours d'hébreu dont je garde le meilleur souvenir tant la langue était truffée de poésie et d'énigmes.
"Il m'arrive d'être frappé par la beauté d'un vers qui a perdu son éclat en quittant sa langue maternelle. Ainsi la ligne 39 du psaume 105, où l'on chante Dieu guidant les Hébreux dans le désert. Le texte officiel de l'Eglise le traduit : « Il étendit une nuée pour les protéger. » Mot à mot il s'agit au contraire de : « Il étendit un nuage comme un tapis.
Dieu déploie dans le ciel son cirrus qui, par son ombre projetée, forme une trace sur la terre.
Les Hébreux traversent la péninsule du Sinaï, leur premier désert : où se diriger dans l'uniformité de l'horizon ? Ils lèvent les yeux vers l'étendue nuageuse dont l'ombre s'étale comme un tapis, ils s'en remettent à la signalisation céleste. Le chemin du peuple arraché aux chaînes d'Égypte sera marqué par les nuages. Dans les déserts, au cours des siècles, c'est du ciel qu'ils attendront leur chemin. Par tapis, ils entendront la Bible.
Moi aussi je parcours ses pistes sans lever les yeux au plafond, dans l'espoir qu'une légère condensation, une vapeur, guide mon voyage"
Erri De Luca
Cet extrait pour éclairer ce qu'est "un nuage comme tapis"
Kab-Aod: Je connais le grec ancien mais pas l'hébreu. Je ne l'étudierai pas, voulant garder intacte la magie du graphisme des lettres, magie que je ne connais plus avec le grec puisque je le lis.
Vous avez raison, Oceania, de vouloir éclairer le titre si poétique de Erri De Luca. En écrivant le billet, j'étais encore tellement dans le livre que je n'y ai pas pensé. Merci.
Pour moi c'est de l'hébreu!...n'ai même cru qu'c'était en fumant la moquette que le tapis c'était transformé en nuage de fumée!...c'est dire si je suis un indécrottable inculte !! ;-)
Ton commentaire suivant de ce soir prouve bien le contraire, hypocrite!
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