Ne rien écrire pendant et reconstituer son voyage a posteriori devant son clavier n'est pas moins fatigant que taper au retour toutes les pages manuscrites. Je viens d'en faire l'expérience, heureusement aidé par le nombre important de photos prises aussi bien en Maurienne qu'en Italie. La différence, s'il en est une, est un moins grand plaisir à cimenter les phrases, alors que, lorsque l'on écrit le jour même de la chose vécue, la jouissance me semble plus complexe.
Et quand on a fini ce qui demande un effort assez prolongé et que l'on relit, on s'aperçoit que l'on n'a pas parlé de tout, que des éléments importants, ou ressentis comme tels au moment où ils apparaissaient, ont disparu, emportés par les fluctuations d'une pensée plus rapide que la main.
Alors je vais en sauver deux de l'oubli, comme ça, pris au hasard de cette même pensée vagabonde. Pourquoi ceux-là plutôt que ceux-ci? Pourquoi pas. Je ne fais pas oeuvre de démiurge mais d'impressionniste.
L'être qui, chaque soir, couchait sous le porche protecteur de l'église St Charles Borromée, près de l'hôtel où je logeais à Milan. Je dis "être" car je n'ai pas su si c'était un homme ou une femme. Vu le premier soir alors qu'il était appuyé dans l'obscurité contre une colonne de ce porche, à boire ou tenter de se laver, à manipuler du liquide en tout cas, qui formait une petite flaque à son côté. Vu le deuxième soir, déjà endormi, à même le sol, les jambes nues allongées devant la porte de l'église, la tête toujours dans l'obscurité, le corps dans la moiteur ambiante. Disparu le jour, avec un simple souvenir de rance flottant dans l'air quand j'ai voulu pénétrer dans l'église.
Le couple au restaurant de Bergame. Nos voisins de table, aperçus un moment avant sur la Piazza Vecchia. Deux français, tous les deux très jeunes, à peine plus de vingt ans. Le garçon mince et brun, presque fluet. La fille énorme, au corps de bourrelets, au visage de Madone, d'une grâce infinie. Conversation à peine ébauchée lorsque j'ai demandé au jeune homme ce qu'il mangeait et qui sentait si bon. La jeune fille m'intéressait davantage: je sais que ce que je vais écrire peut paraître méprisant (et je suis bien sûr que, dans ma tête, ça ne l'est pas) mais j'ai toujours plaint les gros en temps de fortes chaleurs. Moi qui ai toujours l'impression que même mes os transpirent, je ne comprends pas comment ils peuvent supporter ce que je pense être une profonde souffrance pour eux. Ils étaient au début tous deux assez silencieux, peut-être gênés par la présence si près d'eux de trois francophones, mais bien vite, en tendant l'oreille, je m'aperçus qu'ils avaient recommencé à bavarder, simplement un ton plus bas. Nous, par hasard, nous parlions de Freaks,le film de Tod Browning. Je fus le seul à l'entendre, elle, qui lui demandait à lui s'il avait aimé ses vacances avec elle. La réponse fut rapide mais je ne la saisis pas. Ensuite le silence s'installa, un long moment.
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2 commentaires:
'Freaks', le hasard était malheureux, pour sûr !
J'ai aimé le début de ta note (mais on avait déjà parlé de ça toi et moi, je crois) sur le choix à faire entre écrire, décrire, sur le vif, ou plus tard. Personnellement j'ai préféré la 'corvée' (qui n'en était pas une pour moi) de relater au jour le jour, par peur justement, non pas d'oublier certains détails, mais de leur trouver moins d'importance avec du recul, et donc d'épurer mon récit. Et j'avais peur que le compte rendu (quelle vilaine expression) "a posteriori" en perde en saveur et en vérité. Ce qui, d'ailleurs, n'a pas empêché mon blabla sur le voyage en Sicile d'être très rasoir par moments. Mais je me méfiais surtout du phénomène de 'flemme' en rentrant. Je tenais donc à immortaliser par écrit, quotidiennement, et sur place. Bref.
Ta technique consistant à 'extraire' des souvenirs précis hors de la chronologie du voyage est effectivement une excellente idée. Bravo.
Ce sont parfois justement ces souvenirs secondaires qui restent en fin de compte le plus durablement dans la mémoire.
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