Le livre de Dominique Fernandez que je lis actuellement m'a remis en mémoire un voyage en Sardaigne que je fit en 1981. Pierre m'avait rejoint à Perugia (je n'ai jamais aimé la francisation de ce nom en Pérouse), en Ombrie, où j'avais passé un mois à l'université pour étrangers.
Ce mois avait été, je l'ai déjà dit, un des plus beaux moments de ma vie. J'y avais fini d'y apprendre parfaitement l'italien, j'y étais devenu l'ami d'une délicieuse croate, Dubravka, et surtout j'y avais découvert tout ce qui fait le charme et l'intérêt culturel de cette région et de sa voisine, la Toscane : Florence, bien sûr, que je ne prise guère, et Assise, Todi, Gubbio, Orvieto, Lucca, Arezzo, Volterra et tant d'autres villes de la côte ou de l'intérieur. Je dois rajouter, pour être exhaustif, qu'à l'instar de Racine, mes nuits y furent encore plus belles que mes jours.
Il en fut tout autrement pour la Sardaigne. De Civitavecchia, nous prîmes le bateau pour Olbia. Je n'eus pas attendre longtemps pour avoir une idée de ce qui nous attendait d’âpreté sur cette île. Sur le rafiot qui nous y conduisait, nous partageâmes une banquette inconfortable avec une femme sans âge, toute de noir vêtue et totalement mutique. Elle nous regardait parfois, droit dans les yeux, avec un regard vide et sans curiosité. Pourtant, aucune animosité n'émanait d'elle. Simplement, nous n'existions pas plus, pour elle, que l'étendue de mer que nous traversions ou les plaques brinquebalantes du plafond de la salle où nous étions réunis.
J'eus un choc en débarquant. Où étaient les paysages apaisants et romantiques de la région que je venais de quitter ? Quid des visages de madones et de jeunes gentilshommes qui s'y rencontraient aussi bien dans les musées que dans la rue ? Et cet art de la conversation badine et de la passeggiata vespérale avant la fraîcheur de la nuit ? Ici, tout était rugueux, le paysage comme les hommes. La langue même qui y était parlée, je ne la comprenais guère, tantôt proche du latin, tantôt de l'espagnol, et toujours rouleuse des secs cailloux qui recouvrent l'île.
A peine arrivé sur un nouveau site, je n'avais de cesse de convaincre Pierre de poursuivre notre voyage, d'aller plus loin, dans une fuite en avant où j'espérais retrouver mes repères, renouer avec tout ce qui faisait que j'aimais tant l'Italie. Nous visitâmes ainsi très vite l'essentiel de l'île et jamais je n'étais rassuré. Même les nuraghes, ces sortes de tours préhistoriques caractéristiques de la Sardaigne, ne pouvaient, à mes yeux, rivaliser avec les églises et les places moyenâgeuses des contreforts apennins.
Cette dérobade à ce qui m'entourait ne cessa que le jour où je découvris ma première église pisane de l'île. Laquelle était-ce ? J'ai oublié jusqu'à son nom et l'endroit où elle se trouvait. Ce que je n'ai pas oublié, c'est la découverte elle-même, cette splendeur romane au milieu de rien, ce bijou artistique planté là où je ne l'attendais pas, ce noir et ce blanc au milieu des rochers ocres, cette impression de fraîcheur en pleine fournaise. Ainsi donc y avait-il quelque chose à voir sur cette île.
Peu à peu, mon regard sur ce pays changea. Je n'étais plus dans l'Italie des touristes. D'ailleurs étais-je encore en Italie ? Lorsque nous traversâmes l'intérieur des terres, les hauts plateaux désolés et désertiques, semés d'énormes rochers à l'abri desquels se protégeaient du soleil quelques bergers aux maigres troupeaux, me firent davantage penser au relief lunaire qu'à des contrées fréquentées par les hommes.
Mon regard sur les hommes changea également. A peine sortis de la Vallée de la lune, nous tombâmes en panne de voiture. Nous dûmes faire halte au premier village digne de ce nom et y chercher une auberge. Au tenancier à qui nous demandions où se trouvait le garage le plus proche, il vint une sorte de sourire mi énigmatique mi ironique que nous eûmes du mal à interpréter ? Il nous proposa pourtant d'appeler son fils qui, disait-il, pourrait nous arranger ça. C'était un adolescent pas plus loquace que son père, qui nous fit d'abord l'effet de n'être qu'un amateur prêt à nous rafistoler tant bien que mal le véhicule en nous demandant une somme astronomique pour prix de ses services. Il n'en fut rien et nous eûmes toutes les peines du monde à lui faire accepter un modique dédommagement pour le temps qu'il avait passé sous le capot. Et sa réparation tint jusqu'à Lyon où, pour plus de sécurité, nous la fîmes vérifier par un vrai garagiste.
Aujourd'hui, trente-trois ans plus tard, je garde un profond respect pour ce peuple sarde, si mystérieux, si difficile à approcher, qui ne répond en rien aux critères habituellement avancés lorsqu'il s'agit d'évoquer les civilisations de la Méditerranée et particulièrement de ses îles. Envahi sans cesse au cours des siècles par des civilisations étrangères, il a su garder son authenticité et ses particularismes que j'eus le bonheur de retrouver, quelques années plus tard, dans le merveilleux film des frères Taviani, adapté d'un roman de Gavino Ledda, Padre Padrone.
lundi 10 février 2014
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5 commentaires:
Je ne connais pas la Sardaigne (ni l'Italie d'ailleurs) j'ai seulement eu une amie sarde qui m'a longuement parlé de son pays et m'a fait découvrir le "canto a tenore" des bergers que j'ai eu plus tard l'occasion d'entendre ici lors d'un festival. Si un jour je descends en dessous de la Loire je crois que c'est là-bas que j'irai d'abord.
La Sardaigne, c'est très très au sud de la Loire ! Une petite escale à Lyon s'imposerait alors !
Intéressante évocation. Je me demande si l'atmosphère sarde ne s'accorderait pas davantage à mon caractère que celui de la péninsule.
J'avais adoré! Des vacances de touristes il y a deux ans(en 30 ans, le pays s'est quand même beaucoup ouvert ;-)
Mais il reste la nature âpre et le côté taiseux mais très simple des habitants.
Cornus : les deux ont leur charme, et tu sais que j'aime beaucoup l'Italie.
Jérôme : moi aussi, j'étais revenu impressionné et ce n'était pas gagné au départ.
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