Un autre souvenir d'hiver: le jour où l'on tuait le cochon. Je devrais dire les jours car mon père qui avait suivi un apprentissage de boucher sans donner suite officiait dans tout le village et les alentours. Curieusement, alors que je ne supportais pas de voir égorger les autres bêtes, en particulier agneaux et cabris, je n'ai jamais rien ressenti devant l'agonie d'un goret, peut-être parce que j'aimais trop le saucisson et autres produits dérivés.
Il fallait d'abord installer le banc sur lequel le sacrifice allait avoir lieu, une sorte de brancard à claire-voie dont les planches de bois étaient ensuite soigneusement lessivées et poncées. La bête était amenée bon gré mal gré jusque là puis solidement attachée par les pattes. Mon père l'égorgeait alors: je me souviens des cris suraigus du cochon et des gouttes de sang qui rougissaient la neige. J'oubliais la sauvagerie du geste en contemplant ces fleurs écarlates qui seraient bientôt piétinées par ceux qui s'activaient autour du brancard.
Ensuite, si je me souviens bien, il fallait laver la peau à l'eau bouillante, et le cochon se mettait à fumer dans l'air froid de l'hiver, puis la frotter avec une brosse à poils durs et la bucler, c'est à dire éliminer les dernières soies à l'aide d'une flamme. Là, c'est l'odeur qui me reste, une odeur de roussi que je n'aimais guère.
Une fois le cochon découpé commençait la préparation de la viande. Je ne participais qu'à la fabrication des saucisses et des saucissons. J'allais au village, chez le boucher, acheter des écheveaux de boyaux tout gluants de la saumure dans laquelle ils avaient été conservés et les nettoyais eux aussi à grande eau. Puis, dans le premier grenier de la maison, qui servait de saloir, nous mettions en route l'embosseuse mécanique dont je tournais la manivelle. J'aimais bien voir le boyau se remplir peu à peu de viande hachée ou de couenne et parfois se tortiller comme un ver pour échapper à la poigne de mon père. Les saucissons restaient à sécher plusieurs mois dans ce grenier qui en a toujours gardé l'odeur particulière.
Les jours qui suivaient l'exécution, je passais chez les voisins leur apporter une fricaude: une grande assiette remplie de foie, de rognons, de boudin, d'un peu de graisse et de crépine. C'était une coutume particulière à la Loire (et sans doute à la Haute-Loire) et quiconque tuait un cochon ne manquait pas de sacrifier à cette tradition sans doute fort ancienne.
Aujourd'hui, j'imagine que tout cela a disparu et que la chose ne se pratique plus (officiellement) que dans les abattoirs, exigences vétérinaires obligent. J'imagine aussi qu'elle a perdu toute cette poésie dont, encore aujourd'hui, elle reste pour moi entourée.
samedi 18 février 2012
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6 commentaires:
Mais la chose m'est aussi familière, je l'aie vécue chez mon oncle jusqu'au milieu des années 1990. Il y avait à la fin quelques aménagements.
Je précise qu'on brûlait le cochon avec de la paille, on fignolait au chalumeau à gaz (perfectionnement paternel), on fignolait avec une sorte de rasage à l'aide d'une grande faux et on ne lavait qu'en dernier.
On faisait le boudin avant midi pour pouvoir le manger dans la foulée (absolument génial).
J'ai aussi connu l'échange pour un rendu du boudin et autres, mais cela n'existe plus trop.
Je me souviens bien du hachage de la viande pour les saucisses, les saucissons, le bon-jésus et la rosette et c'est vrai qu'il fallait souvent aller acheter des boyaux supplémentaires. Et la machine à embosser dont j'ai tourné la manivelle. Bien sûr, c'était un semi-pro comme ton père qui officiait la plupart du temps. Tuer un cochon nous occupait toute la journée et on était crevé le soir.
Connais-tu le terme de grillatons (nommés beurresaudes dans le Morvan et gratons) ? La fricaude, je ne sais pas ce que c'est au juste, ce n'est pas un mot qu'on utilisait.
Bon encore une fois, j'aurais pu en faire une note, mais je vais peut-être arrêter de te copier. Merci en tout cas pour les souvenirs suscités (y compris odorants et gustatifs), tous excellents pour ma part, sauf le cri du cochon qui m'impressionnait dans mon plus jeune âge.
Cornus: tu as sans doute raison, on ne lavait qu'en dernier. Bien sûr que je connais le grillaton, mais, à l'époque, je n'en étais pas fan!
Quant à me "copier", j'en serais toujours honoré! D'autant que tes souvenirs ne sont pas forcément identiques au miens.
Ah l'horreur de ce souvenir, un cochon hurlant il me semble des heures durant. C'était au Birkenhof, j'avais haï le fermier qui faisait subir cela. Mais j'aime toujours autant le cochon :o)
Valérie: j'ai par hasard assisté en Italie à l'abattage , en abattoir (pardon pour la presque répétition), d'une vache. Au pistolet. C'est encore pire, parce que les autres attendent derrière que ce soit leur tour.
J'ai pensé à toi et à ce texte ce matin, mon père m'a dit avoir tué le cochon ce week end.
Georges: garde-moi une fricaude !
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