Lorsque j'étais enfant, je souffrais d'un sérieux handicap. Non, rien de grave ni de destiné à durer mais suffisamment gênant pour gâcher la vie au moment où cela arrivait: j'étais malade en voiture. En car aussi mais je ne le prenais pas très souvent et, lorsque je dus aller chaque jour au lycée par ce moyen, le problème était réglé.
En voiture, dès le premier virage, je commençais à agripper le dossier de la place avant, au troisième, j'étais blanc comme un linge et, avant que l'on n'ait fait les dix premiers kilomètres, j'avais déjà vidé mon estomac de tout ce qui, depuis le départ, réclamait une libération immédiate. Il faut dire que la région de Saint-Étienne est assez pentue et que mes parents choisissaient de préférence des promenades du côté de la Haute-Loire ou du massif du Pilat plutôt qu'un périple dans la plaine du Forez. Je me suis, depuis, entièrement converti à leurs goûts mais à l'époque, j'aurais aimé parfois une route droite sur un peu de plat. Je crois aussi que l'odeur des automobiles de ces années-là, mélange de relents d'essence, de transpiration de moleskine, de graisse et de je ne sais quels fumets indéfinissables, n'était pas pour me stabiliser les entrailles.
Le plus dur, ce n'était pourtant pas d'être malade, c'était de l'avouer. Je me disais chaque fois que j'allais vaincre ma nausée, qu'elle allait passer si je me concentrais fort, comme on me l'avait recommandé, sur le ruban de la route loin en avant. Mais rien à faire et lorsque je m'avouais vaincu, c'était en général trop tard, juste avant l'expulsion nauséabonde. Pourquoi ne pas avouer plus tôt? Pour une simple et seule raison, qui a fait que longtemps je n'ai pu être naturel avec lui: j'avais peur de la réaction de mon père, de ce mâle qui ne supportait pas que l'on "s'écoute" et ne comprenait pas non plus que l'on ne puisse supporter ce qui, pour lui, semblait le plus naturel du monde, comme de manger une tranche de lard gras, bien blanc, dont toute viande était absente.
J'essayais d'être à la hauteur, du moins à celle de mon frère, plus proche du modèle à atteindre, mais j'échouais chaque fois. Je fus presque heureux lorsque je découvris que ce frère, qui ne craignait ni dieu ni diable, tournait de l'œil à la vue d'une seringue. Peut-être est-ce pour cela que moi, une piqûre ou une prise de sang ne m'ont jamais intimidé.
Je repensais à tout cela ce matin en conduisant sur les routes ardéchoises, du côté d'Annonay, lorsque ma sœur proposa à ma mère (qui commençait à trouver que, décidément, il y avait beaucoup de virages pour monter sur le plateau et ensuite, en prenant la direction du Puy en Velais) un bonbon à la menthe qu'elle avait, elle s'en aperçut alors, oublié chez elle. Le bonbon à la menthe: c'était, dans mon enfance, la panacée universelle! Ça, le thé rouge, un fortifiant et un dépuratif du sang en hiver, et l'on était paré pour tout affronter, même s'il fallait parfois y adjoindre ce baume qui sentait le sapin et que l'on nous frictionnait sur la poitrine lorsque nous avions attrapé un refroidissement.
Je ne sais pourquoi, la façon dont ma sœur a prononcé ces simples mots "un bonbon à la menthe" ce matin dans ma voiture, m'a immédiatement replongé, surtout par la façon qu'elle a eue de les dire, l'intonation, le rythme, dans ma petite enfance lorsque ma mère fouillait dans son sac à la recherche du remède miracle. Aujourd'hui, c'est ma sœur qui tient ce rôle-là et moi, à condition d'être au volant, je ne crains plus ce mal qui m'a tant fait souffrir enfant.
dimanche 11 juillet 2010
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5 commentaires:
Incroyable comme je pourrais faire un copié-collé parfait de ta note chez moi. Dans les moindres détails : description de l'odeur immonde qui suscite les nausées, père excédé, frère irréprochable de ce côté-là, tout, tout, tout. En plus, à moi les bonbons à la menthe ne faisaient aucun effet.
Il y a peut-être une chose que tu n'as pas mentiuonnée : dans les cas où je sentais monter le mal au coeur en voiture, j'aimais qu'on me fiche une paix royale. Or ma famille était spécialiste pour me demander toutes les 10 minutes : "Tu n'as pas mal au coeur au moins?", ce qui, inéluctablement, activait le geyser...
Ca t'a passé vers quel âge ? moi 10 ans, par là... Hyper-content de me débarrasser enfin de ce handicap ignoble...
C'est drôle: j'ai pensé à toi en l'écrivant!
Oui, vers dix ans, moi aussi. Mais même encore actuellement, si je suis passager et que la conduite est un peu brusque, je suis assez vite brassé.
Je n'ai jamais été vraiment malade en voiture. La seule fois où je n'ai pas été bien, c'était gamin en allant au Chambon-sur-Lignon à l'arrière de la DS de ma tante, mais nous nous étions arrêtés fort opportunément pour aller cueillir quelques perce-neiges dans une prairie.
Le Chambon-sur-Lignon, Cornus, c'est bien aussi ssur ces routes-là que j'ai été malade.
Bah moi je n'avais pas mal au cœur en voiture. En tout cas, pas avant que ma mère ne sorte ses mouchoirs en papier parfumés... à la chlorophylle... Maintenant, j'associe la chlorophylle à ma mère, à la voiture de l'époque et à la nausée.
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