lundi 19 juillet 2010

La Chevauchée fantastique

Comment peut-on engranger autant de bonheur en à peine un peu plus d'une heure et demie? Je viens de revoir sur Arte La Chevauchée fantastique, de John Ford. Plus ou moins inspiré de la nouvelle de Maupassant Boule de Suif, ce film m'a ce soir touché autant que la première fois que je l'ai vu, soit autour de mes 15 ans, dans le camp sous tentes dirigé par un de mes professeurs de français du lycée.

D'abord, je l'ai déjà dit, j'aime beaucoup les westerns: ces histoire simples et manichéennes où, le plus souvent les méchants sont punis et les gentils récompensés (ce qui est grandement le cas dans La Chevauchée fantastique), sont à suivre en se laissant porter par le premier degré, les émotions faciles et la beauté des images en noir et blanc. Je sais que certains reprochent à ce genre cinématographique une dose non négligeable de racisme anti indien. Je sais quel fut le sort de ces tribus lors de l'avancée de la conquête par les blancs. Je réponds à ces critiques que chaque personnage est un archétype humain, pas le représentant spécifique (en tout cas aujourd'hui) d'un peuple ou d'une race. Et même si les états-uniens se sont servis des westerns pour faire œuvre de propagande, je m'en moque. Je fais d'ailleurs remarquer aux mêmes moralisateurs que j'écris états-uniens et non pas américains. Combien d'entre eux prennent-ils la même précaution? D'ailleurs, c'est comme si l'on s'interdisait de lire Racine parce qu'il était janséniste, Drieux la Rochelle ou Céline pour avoir été convaincus de collaboration ou Aragon parce qu'il était communiste et bi-sexuel. Il est toujours de bon ton de baver sur une production artistique. Moi, je préfère ne pas compter mon plaisir.

Ce petit couplet de mise au point passé, qu'est-ce qui me plaît tant dans ce western? Tout! L'image en noir et blanc, les personnages typés, parfois à la limite de la caricature et pourtant profondément humains, dans le bien comme dans le mal, le langage (le doublage) fait dans un français absolument parfait, l'utilisation de la musique, les relations qui se nouent..., tout. Des exemples? L'intervention de la musique s'opère toujours dans des moments clés, soit angoissants, soit héroïques, soit sentimentaux. C'est bien sûr le cas dans n'importe quel film, mais ici cela a une valeur plus symbolique que simplement d'accompagnement. De plus, le régiment à cheval, les indiens galopants ou la cour d'une hacienda ont chacun leurs instruments et leur rythme particulier.

Le noir et blanc aussi: bien sûr, il y a les vues splendides sur le grand canyon du Colorado, mais l'ombre d'une chaise dans le rai de lumière occasionné par une porte ouverte est tout aussi beau, ou le halo derrière la prostituée qui sort un instant dans la nuit après avoir aidé l'autre femme à accoucher.

Le moment de la naissance du bébé est d'ailleurs un des plus beau et sans doute un des plus travaillé du film. Quatre des hommes passagers de la diligence sont en train de regarder l'un d'entre eux faire une réussite en attendant que le médecin ait achevé la mise au monde. Tout à coup, on entend dans la nuit le cri d'un coyote, bientôt suivi d'un second, et il n'y a que le conducteur de la diligence, un jeune homme un peu simple, pour croire que ce sont cris de vrais animaux. Les autres ont compris que les apaches et leur chef redoutable, le vieux Géronimo (rien que ce nom me fait rêver), ne sont pas loin. La scène est filmée dans le dos des hommes, qui regardent tous vers la porte. Et presque aussitôt, d'une autre porte voisine, arrive Dallas, la prostituée, qui tient le nouveau-né emmailloté dans son châle. Les hommes, assis auparavant, se lèvent et se pressent autour de la femme et de l'enfant. On les voit toujours de dos, et il me semble qu'il faut, dans ces deux scènes successives, beaucoup de talent pour rendre des dos masculins porteurs d'émotions décryptables.

Pour l'emploi dans le doublage d'une langue française impeccablement correcte, un seul exemple: le latino propriétaire de la petite auberge où se déroulent les scènes centrales du film veut prévenir le héros (John Wayne) que son pire ennemi et ses deux frères l'attendent de pied ferme à la prochaine ville escale. Cet homme est un personnage au physique et au tempérament un peu veules, ce qui ne l'empêche pas d'employer la phrase suivante: "Ils t'attendent à X: je les y ai vus". A ce sujet aussi, on peut me rétorquer que le vocabulaire n'est pas en adéquation avec le statut social, mais quel plaisir d'entendre une langue respectée plutôt que les tournures de pseudo-modernisme (les plus vite démodées) employées aujourd'hui trop souvent!

Un autre point très intéressant enfin est le rapport des différents personnages entre eux. Comme dans la nouvelle de Maupassant, la diligence est un peu la matérialisation du monde, une sorte de microcosme représentatif d'un certain nombre de types humains. Ringo Kid (oui, on peut sourire de la ringardise de ce nom!), le justicier incarné par un John Wayne à l'aspect encore juvénile (il avait alors 32 ans) et dont je ne me souvenais pas que le pantalon, là aussi de dos, était aussi près du corps, Dallas, la prostituée jouée par Claire Trevor, le docteur Boone, un alcoolique au grand cœur interprété par Thomas Mitchell, probablement mon préféré des seconds rôles américains de ces années-là....

Tous sont parfaits et le jeu des "couples" apparaissant quasiment à chaque scène serait à analyser plus précisément que je ne peux le faire ici. Il y a les "couples" comiques, comme le docteur et le représentant en whisky au physique de clergyman, en réalité père d'une famille de huit enfants. Il y a les "couples" antipathiques, comme le banquier escroc et l'aristocrate méprisant, les "couples" pleutres comme le banquier et le représentant, les "couples" maudits (ou romantiques, selon l'angle d'interprétation) comme Ringo et Dallas, les "couples" mal assortis, comme l'aubergiste latino au physique ingrat et sa femme apache à la sombre beauté. Tous ces couples, au fil des scènes et des dialogues, se forment, se séparent, se rapprochent à nouveau dans le huis-clos de la diligence ou autour de la table de l'auberge.

Enfin, la dernière image du film, convenue, attendue, mille fois vue et revue partout et pourtant tellement "cinéma de mon enfance": l'attelage du couple des réprouvés qui file à l'horizon, vers la frontière au delà de laquelle ils pourront vivre librement leur amour, et, envahissant l'écran à la même vitesse que disparaît le nuage de poussière sur la piste, le mot que l'on attend, dans une musique "bouquet final": THE END.

5 commentaires:

zeus_antares a dit…

C'est un superbe western que je n'ai pas pu voir en entier (je crois que je ne l'avais jamais vu à la télé d'ailleurs ou alors il y a très longtemps) mais j'ai plus été touché par le précédent diffusé sur Arte, L'homme qui tua Liberty Valence et qui m'a paru plus profond dans son thème que la chevauchée. A savoir le respect du droit sans le recours à la force... Je ne raterai pas les suivants qui seront diffusés cet été.

Calyste a dit…

Je connais le film dont tu parles mais je ne l'ai jamais vu. Je ne savais pas que Arte en avait prévu une série. Merci du tuyau, Zeus.

Cornus a dit…

J'ai aussi vu le dernier quart de ce western. Nous en avons déjà parlé et je crois que j'aime bien ce genre en grande partie pour les mêmes raisons que toi. Et je suis très content de constater que nous autres, personnes très raffinées (qui pourrait en douter :-)) aimons les westerns.

Ce lundi, est aussi passé un western de John Ford en N&B de 1950, mais là aussi, je n'ai vu que le dernier quart.

Lancelot a dit…

"je les l'y ai vus" ? C'est du bon français, ça ? Une explication s'impose.... (enfin, si tu en as le temps...)

Calyste a dit…

Erreur corrigée, professeur...