Je n'ai parlé à Kicou de mon homosexualité que quelques mois seulement avant sa mort. Elle me répondit ce jour-là qu'elle me croyait bi, ce que j'aurais d'ailleurs espéré être.
Ce si long silence de ma part peut surprendre face à une amie aussi proche. En fait, Kicou, au début de notre amitié s'était montrée un peu trop rapide. Se doutant de quelque chose, elle me tendait des perches colossales que je m'empressais de ne pas saisir, par crainte d'un aspect de son caractère qui me refroidissait: elle était bavarde. Je lui avais, par exemple, passé un énorme savon quand je l'avais entendu livrer à tous en salle des professeurs des éléments de la vie privée d'un collègue qui, bi et en instance de divorce avec sa femme, s'était livré à elle dans un moment où il avait par dessus tout besoin de se confier. Et elle qui, en toute bonne foi, croyait l'aider ainsi! Mon silence tenace s'explique aussi par un trait de ma personnalité à moi qui fait que, dès que je sens que l'on tente de me contraindre dans une direction, je prends immédiatement l'autre, l'opposée.
Bien sûr, Kicou connaissait et appréciait Pierre. C'est en parlant de lui, après sa mort, que peu à peu nos langues se sont montrées moins lourdes, de mon côté comme du sien. Je partageais déjà de nombreux épisodes de sa vie, elle m'en livra d'autres, sur son divorce, en fait une annulation de mariage, ses enfants, son second mariage, avec Georges qui, lors de ma dernière visite à la campagne, compléta la confidence en me confiant un dernier détail dont elle-même ne m'avait jamais parlé. Loin de me peiner, cette ultime pudeur de sa part me la rend encore plus chère: j'avais deviné son secret, en effet, et elle savait que je savais. A quoi bon les mots? Nous étions seuls, avec Georges et les deux intéressés, à partager ce silence.
Ce que j'aimais chez elle, et qui parfois me fatiguait, c'était son dynamisme, sa volonté de toujours considérer le positif. Elle a eu dans sa vie des moments difficiles, pénibles même pour certains, elle les évoquait mais ne se plaignait pas et envisageait toujours un avenir où les batailles à livrer seraient gagnées. Même celle de sa maladie. Et là, elle n'a pas été la plus forte.
(A suivre, peut-être).
jeudi 28 janvier 2010
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6 commentaires:
J'ai bien noté que tu n'aimais pas aller dans une direction imposée mais je me permets néanmoins de te demander ce que signifie que tu aurais aimé être bi. Je m'explique. Ce n'est pas la bixexualité qui m'intrigue - aurais-tu écrit hétéro que j'aurais formulé la même remarque - mais j'ai tout simplement de la peine à concevoir qu'on puisse désirer être autre, dans ce domaine en tout cas. Je me souviens très bien avoir eu ce genre d'interrogation quand j'étais enfant, où la découverte de l'homosexualité est quand même vécue comme un constat d'handicap, et à aucun moment je n'ai pu me résoudre à penser "il eût mieux valu que soit hétéro" (La bisexualité, je ne savais pas que cela existait...), mon orientation me semblait consubstancielle à mon être. Etre autre ce n'est plus être soi, et ne plus être soi, c'est mourir. Bref, ton sentiment, parceque différent, m'intéresse.
C'est de la pure gourmandise, Karagar: j'aurais, il me semble, pu ainsi profiter encore davantage des "fruits qui passaient à portée de ma main" en élargissant ma palette de sensations et de plaisirs.
Rien d'autre qu'une boutade, en fait. Je me sens très bien dans ma peau d'homo et n'ai jamais eu l'intention d'en changer!
Certes, mais un gourmand doit-il forcément avoir envie de tous les fruits qui passent à portée de main ? Goûter une fois, pour ne pas mourir ignorant, soit. Mais je pense que la gourmandise peut trouver sa satiété dans un (ou plusieurs) domaines particuliers, et en laisser d'autres de côté, sans pour cela être frustrée...
Encore une fois, ta note m'inspire, ici et là, au détour de tes phrases, de nombreuses réflexions, très diverses. J'avais choisi de commenter le regret de la "bitude", mais Karagar m'a devancé sur ce que j'aurais voulu écrire, en le formulant mieux d'ailleurs. Mon regret à moi, ce matin, c'est celui d'une conversation à bâtons rompus !
Étrange comme les commentaires partent souvent dans une direction qui n'est pas celle de l'essentiel du billet!
Pour Lancelot: je ne me sens absolument pas frustré. Simplement j'aurais aimé savoir ce que c'était qu'être bi (c'est à dire constamment bi, je ne parle pas des quelques expériences féminines que j'ai connues et qui, d'ailleurs, ne m'ont pas rebuté), comme j'aurai aimé une fois dans ma vie pouvoir, d'un mouvement de tête, rejeter, moi qui suis frisé, une mèche de cheveux en arrière.
calyste, je suis Juliette, une amie de Christophe... ton billet me touche et fait écho à un autre de Christophe... je me retrouve en Kicou, j'ai moi aussi une longue maladie qui finira bien par avoir ma peau... et j'ai très longtemps été amoureuse de Christophe qui m'a avoué en revanche son homosexualité dès qu'il se l'est avoué à lui-même! mais il a eu peur de me révéler son cancer... quand il me sait malade depuis toujours... des sortes de pudeur...
je l'écris ici car tu l'as lu sur son site...
j'e suis depuis 7 ans avec un compagnon chez qui je ne peux vivre à cause de ma maladie qui m'empêche de sortir de chez moi... (chez ma mère)
pas évident... mais on tient ensemble, je ne sais comment il arrive à tenir autant à moi et me supporter (je suis à fleur de peau ces temps-ci, excécrable)...
je tente de lire (j'ai lu bon nombre de tes lectures d'ailleurs) quand je ne suis pas trop épuisée, et suis dans une équipe de poésie... ce qui nous a lié avec Christophe (notre passion des livres, de l'écrit et bien d'autres choses)
bonne soirée, je repasserai de temps à autre
Merci, Juliette. Je te connaissais un peu car Christophe a déjà parlé de toi et j'ai vu plusieurs de tes commentaires chez lui. Je te remercie d'autant du tien que je pressens ce qu'il t'a sans doute coûté d'efforts et de temps. Je crois que ce qui fait, entre autres, la qualité d'un être tel que Christophe, c'est la pudeur dont tu parles et que l'on ressent en le lisant. Tu as de la chance de le connaître! J'ai vécu moi-même longtemps avec Pierre, mon ami mort depuis cinq ans d'un cancer et je sais ce qu'il en coûte de fatigue et d'abnégation. Je sais aussi ce qu'il m'en reste de tendresse, d'émotion et d'amour.
Je te souhaite tout le courage du monde et dis-toi que ces gens-là t'aiment. Puis-je moi-même prendre la liberté de te faire un bisou?
A quand tu veux, Juliette.
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