lundi 11 janvier 2010

(Dé)conte d'hiver

Le cinéaste Éric Rohmer est décédé aujourd'hui et je trouve que l'on en parle bien peu. Il a tenu, à une certaine époque de ma vie, une grande place dans mon univers cinématographique et, on peut le dire aussi, littéraire. Même si je m'en suis, par la suite, un peu éloigné, parce que ma vie avait changé, parce que j'avais changé moi aussi, je garde encore aujourd'hui un souvenir nostalgique du plaisir que je trouvais alors à voir ses films: Pauline à la plage (à une époque où j'aimais Arielle Dombasle actrice), Le Genou de Claire (avec Brialy en cheveux et canotier), L'Amour l'après-midi, Les Nuits de la pleine lune, Le rayon vert et tant d'autres, jusqu'à ses tout premiers, vus après, comme La Boulangère de Monceau ou Le Signe du Lion.

Je découvris cet homme en 1969 avec son film Ma nuit chez Maud. J'étais par hasard entré dans la salle d'un petit cinéma paroissial comme il en existait encore à l'époque. J'avais 17 ans. C'était un dimanche : le matin, je travaillais dans le magasin de mes parents, une épicerie ouverte quasiment nuit et jour, et l'après-midi, avec les quelques sous rabiotés sur les pesées des fruits et légumes des clients, je me payais une séance. Le reste du temps, jusqu'au soir, j'errais dans les rues de la ville déserte et assez sinistre alors, à la recherche de l'âme sœur ou plutôt d'un corps qui réchaufferait le mien, alternant phases d'intense excitation et moments d'abattement et de dégoût du sexe.

J'étais sans doute entré à cause du titre qui parlait de nuit. Je ne connaissais guère à l'époque Françoise Fabian, Jean-Louis Trintignant et Marie-Christine Barrault, Antoine Vitez encore moins. Ce fut comme un coup de massue. Je me souviens de Clermont-Ferrand, de la neige, des longues discussions entre Trintignant et Fabian sur la morale, sur Pascal, sur des sujets que je n'écoutais plus, fasciné par les acteurs et leurs voix, par l'atmosphère du film, par le ton étonnamment littéraire que je n'avais encore rencontré nulle part ailleurs.

Car c'est bien cela Rohmer, et c'est pour cela qu'un couple d'amis à moi ne le supportait pas, lui préférant les moments d'actions de Clint Eastwood qu'a cette époque, moi, je n'aimais pas: un ton particulier, si particulier que l'on y adhère aussitôt ou jamais, un mélange de légèreté et de sérieux, un phrasé unique et une connaissance de tout ce que la langue française a de plus beau et de plus aérien. Rohmer est au cinéma ce que sont Musset ou Marivaux au théâtre: des hommes pleins de grâce et de délicatesse que l'on oublie souvent pour des auteurs plus "lourds".

Rohmer fait partie de ces gens qui m'ont beaucoup apporté et m'ont permis, alors que je n'y étais pas socialement prédestiné, à me construire une solide culture classique. Par la suite, je le disais, j'ai foulé des prés moins balisés, j'ai arpenté des domaines plus hétéroclites mais, grâce à cette initiation préalable, je ne m'y suis jamais perdu.

En écrivant, je pensais sans cesse au jour où j'ai vu à Lyon Pauline à la plage. Je suis sûr que je n'étais pas seul. Il me semble, mais s'il lit ce billet, il pourra le confirmer lui-même, que j'y avais rencontré ou rejoint André, mon ami aujourd'hui québécois qui, j'en ai le souvenir, partageait le même engouement pour ce cinéaste. Nous ne nous connaissions pas depuis très longtemps, je crois. Peut-être est-ce d'ailleurs ce jour-là qu'est née notre amitié. Je ne m'en souviens plus. Aide-moi, André!

3 commentaires:

Olivier Autissier a dit…

Ça m'est étonnant de te lire parler cinéma, d'autant par ce bien bel hommage à ce réalisateur que je connaissais peu, si peu qu'il m'était indifférent. A tort peut-être.
Mais tu en parles comme j'aimerais savoir le faire.

KarregWenn a dit…

Ma nuit chez Maud, vu, revu et rerevu, en boucle, dans un des permanents du Quartier Latin. Moi c'était l'argent du resto-u qui passait en pellicule ! Un des films dont je me souviens le mieux, de cette époque. Quand on disait qu'on aimait Rohmer on passait pour "intello", et ça n'était pas un compliment. Quel plaisir pourtant, le plaisir de la controverse, et pas une demi-seconde d'ennui. Le les revois encore nettement, Fabian et Trintignant (qu'en plus je trouvais super canon !) Un grand souvenir.

Anonyme a dit…

Je ne m’en souviens pas exactement – ma mémoire me fait défaut ce soir mais cela va me revenir - mais c’est probable et même certain, car nous allions assez souvent au ciné le lundi soir avec parfois d’autres collègues du lycée St-Marc et on appelait nos sorties les lundis culturels. Pour rien au monde, on aurait raté un film de Rohmer, comme ceux de Truffaut que j’aimais beaucoup aussi. Ma nuit chez Maud a été le premier film que j’ai vu en arrivant à Lyon : Trintignant et Fabian, cela ne s’oublie pas. Alors, oui, allons-y pour le début de notre amitié, dans la mouvance d’Éric Rohmer. Après tout, ce n’est pas mal et plutôt relevé !
André