lundi 18 janvier 2010

Retour

J'avançais dans la salle obscure. Le plancher, au lieu de faire claquer l'impact de mes talons, atténuait jusqu'au presque silence le bruit de mes pas. Je ne savais déjà plus où se trouvait la porte par laquelle je venais d'entrer. Peut-être n'y avait-il pas de porte, j'avais pu pénétrer là comme on entre dans un rêve, sans transition.

Que venais-je faire ici? Je n'en avais aucune connaissance, aucun souvenir. D'ailleurs je ne me posais pas la question: dans mon esprit, cela n'avait aucune importance. J'aurais préféré la lumière douce d'un cloître monacal à la tombée du soir ou les ors et grenats d'un théâtre à l'italienne lorsque les instruments s'accordent: j'aime le silence ou la cacophonie des cordes. Ici seule ma respiration ne pouvait être effacée. J'étais le seul élément vivant du tableau.

Mes yeux, habitués à l'obscurité, ne percevaient rien qui les arrête, pas d'objets, pas de présences, pas de lignes dominantes, juste du gris sombre uniforme. Comme si je nageais dans une atmosphère de lait sale. L'air en avait tout à la fois la douceur écœurante et la froidure des vallées glacières. Tantôt réconfortante, comme un ventre maternel, tantôt pétrifiante comme l'approche de la mort. Je ne pouvais qu'avancer, sans savoir pourquoi j'avançais. Et vers quoi.

Je n'avais pourtant pas peur. Comme dans un rêve que l'on a déjà fait, dont on sait que l'issue sera épouvante mais qui finira comme chaque fois par le réveil dans les draps moites et froissés. Mon regard, à force de scruter les ténèbres, s'étoilait maintenant de filaments fulgurants qui venaient le zébrer à tous moments. Mon esprit s'était donné du pain: reconnaître les apparitions et les ranger dans le domaine du connu, de l'anodin ou du sans importance.

Pourtant une forme s'imposa, au-delà de toute reconnaissance. D'abord un semblant de contour blanc, ovoïde semblait-il, mais sans que j'en sois vraiment sûr. Mes pas, sans effort ni volonté particulière, se dirigeaient d'eux-mêmes vers cet œuf évidé, cet anneau allongé aux deux pôles. Les filaments lumineux de mes yeux avaient disparu, je ne pouvais plus voir que cette forme de géométrie qui s'affinait peu à peu sans pourtant que je comprenne encore de quoi il pouvait s'agir.

Le silence était toujours le même. Cependant, à côté de ma respiration, dont la régularité oppressée m'était toujours perceptible, j'avais la sensation qu'une autre s'était installée, une vie qui se calquait sur la mienne, s'arrêtait lorsque je retenais mon souffle, reprenait quand je ne pouvais retenir l'inspiration, comme un voleur suit sa proie en se dissimulant derrière les bruits de sa victime. Mais, comme un enfant encore malhabile qui a entrepris de colorier l'intérieur d'un dessin et ne peut empêcher le crayon de déborder un peu sur l'extérieur, ce souffle étranger englobait le mien et peu à peu le submergeait au point, bientôt, de le remplacer totalement.

La forme initialement appréhendée comme ovoïde s'avérait l'être dans une perfection onirique. Un œuf à la profondeur d'un puits, une margelle blanche ouvrant sur une béance laiteuse qui m'attirait à chaque pas davantage. Je sentais déjà mon corps se pencher en avant, désirant une allure plus rapide que celle imposée par mes pieds, répondant à cet aimant parce que fait de la même matière, quelque chose d'initial, touchant à l'origine et à la dissolution de mon être. Mon cerveau, à peine, émettait encore quelques signaux de révolte dont l'intensité décroissait comme la lumière d'une vieille lampe trop longtemps restée allumée. Bientôt il accepterait lui aussi et alors, enjambant la murette, je prendrai mon premier bain d'absolu.

2 commentaires:

piergil a dit…

Etrange....
mais j'crois que j'vais plutôt prendre une douche là! ;-)

Nicolas a dit…

On dirait que ce n'est pas un rêve, quelque chose me fait penser à Aurélia (pas la fille du boulanger, l'autre Aurélia, celle de Gégé).
Superbe texte (je croyais que tu étais mou, faudrait savoir :))