Eguchi desserra son bras qui la tenait fortement, et quand il eut
disposé le bras nu de la fille de telle sorte qu'elle parût l'enlacer,
elle lui rendit en effet docilement son étreinte. Le vieillard ne bougea
plus. Il ferma les yeux. Une chaude extase l'envahit. C'était un
ravissement presque inconscient. Il lui sembla comprendre le plaisir et
le sentiment de bonheur qu'éprouvaient les vieillards à fréquenter cette
maison. Et ces vieillards eux-mêmes, ne trouvaient-ils pas en ces
lieux, outre la détresse, l'horreur ou la misère de la vieillesse, ce
don aussi d'une jeune vie qui les comblait ? Sans doute ne pouvait-il
exister pour un homme parvenu au terme extrême de la vieillesse un seul
instant où il pût s'oublier au point de se laisser envelopper à pleine
peau par une jeune fille. Les vieillards cependant considéraient-ils une
victime endormie à cet effet comme une chose achetée en toute
innocence, ou bien trouvaient-ils, dans le sentiment d'une secrète
culpabilité, un surcroît de plaisir ? Le vieil Eguchi, lui, s'était
oublié, et comme s'il avait oublié de même qu'elle était une victime, de
son pied il cherchait à tâtons la pointe du pied de la fille. Car
c'était le seul endroit de son corps qu'il ne touchait pas. Les orteils
étaient longs et se mouvaient gracieusement. Leurs phalanges se pliaient
et se dépliaient du même mouvement que les doigts de la main, et cela
seul exerçait sur Eguchi la puissante séduction qui émane d'une femme
fatale. Jusque dans le sommeil, cette fille était capable d'échanger des
devis amoureux rien qu'au moyen de ses orteils.
Yasunari Kawabata, Les belles endormies. (Livre de poche)
jeudi 21 juin 2012
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