Dieu sait, et tous les autres aussi, que j'aime les Romains, leur langue et leur civilisation. Je suis tombé dedans tout jeune et, depuis, je n'en suis jamais ressorti. J'ai même espéré autrefois que la future Europe se ferait sur les frontières approximatives de leur ancien empire au moment de son apogée. L'Histoire a en décidé autrement, malgré quelques velléités sudistes récurrentes.
Pourtant quelque chose me chiffonne, un détail certes, dans leur mythologie: la façon qu'ils ont de nommer arbres et fleuves. En latin, en effet, tous les noms d'arbres sont féminins et ceux des fleuves masculins. La légende dit que, sous chaque ombrage, se cachait une nymphe, petite divinité agreste, qu'il ne fallait pas offenser. Dryopé, dans les métamorphoses d'Ovide, en a fait les frais. Paradoxalement, ces noms féminins ont tous une terminaison attribuée généralement au masculin: populus (le peuplier), quercus (le chêne), laurus (le laurier).
Quant aux fleuves, ils sont traditionnellement représentés, en mosaïques ou statuaire, sous la forme de dieux barbus d'un âge canonique. Au pied de la Bourse des valeurs de Lyon, un artiste du siècle dernier a respecté cette tradition en sculptant le Rhône étendu nu dans un élan viril mais, innovant pour le coup, l'a fait chevaucher une Saône aux attributs bien féminins. Comment d'ailleurs aurait-il pu faire autrement? On n'imagine pas, sur le parvis d'une aussi auguste institution, deux mâles s'enlaçant dans un désir amoureux.
Cette attribution romaine des principes masculins et féminins m'a toujours surpris: l'arbre, dans son élancement et sa force vénérable, son rôle protecteur aussi par gros temps, m'a toujours paru mâle, alors que l'eau des fleuves et des rivières, apaisante et douce, relève pour moi d'un aspect féminin. Bachelard n'a rien dit d'autre dans son épistémologie. Et n'est-ce pas la douce Ophélie qui flotte comme un lys blanc sur les eaux qui lui servent à jamais de linceul?
Quand l'imagerie sémantique a-t-elle changé, lorsqu'elle a changé? Voilà bien une question dont la recherche de la réponse a de quoi m'occuper lorsque le temps de l'otium sera venu.
mardi 19 juin 2012
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7 commentaires:
Je te signale quand même que depuis on a inventé la théorie du genre. Alors peu importe l'apparence, la grammaire, les atrrubuts ( ou leur absence) une seule chose compte: qu'ils continuent à couler entre des bras ( d'hommes, de femmes) ces fleuves qui nous font rêver. Et que les arbres prennent racine dans un val ou une colline moussu (e) s.
En breton aussi les arbres sont tous grammaticalement féminins.
Les différents termes désignant ruisseaux, rivières et fleuves aussi d'ailleurs, à quelques exceptions près, dont une notable, "dour" l'eau, qui est du genre masculin.
Et on n'en finirait pas de se heurter à des "contradictions" entre grammaire et imagination poétique. Que faire de la terre nourricière, la terre-mère, la pacha mama, quand ta terre à toi est "douar", du genre masculin !!!!!!!! Entre parenthèse, plutôt casse-couille ces choses pour les pauvres traducteurs !
euh pardon...casse-couilleS, c'est mieux !
Il y a aussi des choses curieuses. Le nom latin du rosier (Rosetum, i) est neutre. Mais le nom scientifique de la plante dérive de Rosa, ae féminin qui correspond à la fleur. Le rosier n'est certes pas un arbre et j'ai beau réfléchir, il me semble que tous les noms scientifiques de genres des arbres sont féminins (ou en tout cas, l'immense majorité, même quand ils ne sont pas d'origine latine).
La Loire est pour moi d'une extrême féminité à bien des égards : voir "Le jardin de la France" de Max Ernst : http://fr.wahooart.com/A55A04/w.nsf/Opra/BRUE-6WHKQY
Mais bien sûr, quand on pense au fleuve en crue, c'est une autre histoire.
Le Rhône que l'on connaît aujourd'hui, notamment en aval de Lyon est d'une grande austérité pour ne pas dire d'un cruel ennui compte tenu de son endiguement, de son artificialisation extrême. Du coup, le masculin en français s'impose.
Et quid de l'Allier fantasque (en amont de Moulin) ? C'est une rivière qui mériterait le statut de fleuve à égalité avec la Loire.
Didier: et que chaque toujours à nos oreilles le bruit des feuilles caressées par le vent et la chanson de l'eau qui s'en va vers son but.
La Plume: bien d'accord avec toi, S, c'est mieux, pour tout le monde!
Cornus: rien ne peut égaler la Loire, parole de ligérien!
Le Ligéro-éduen ne dira pas le contraire.
Cornus: je l'aurais parié!
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