Première épreuve du brevet blanc. Je surveille une des classes de troisième en remplacement de mon cours de latin. Je connais presque tous les élèves à l'exception de deux ou trois grands lascars sans doute arrivés au collège en cours de scolarité.
Première constatation: le cheveu long est bien implanté mais, apparemment, il faudrait qu'il soit lavé un peu plus souvent. Alors que, chez les filles, le gris et le noir sont de rigueur, les petits mâles, étrangement, semblent, malgré leur taille, plus enfantins et plus éclectiques dans leur tenue: jeans bien sûr mais aussi pantalon de survêtement à la couture marquée de trois lignes célèbres. Pour le haut, le sweat à capuche l'emporte mais subsistent encore quelques pulls à rayures et l'indémodable col en V marine ou bleu pâle.
Le texte sur lequel portent les questions et la réécriture est de Romain Gary, tiré de La Promesse de l'aube (que je n'ai jamais lu). Comme d'habitude, ils se précipitent à peine la page parcourue. Pas un moment de réflexion, pas de réaction vis à vis de ce qui est tout de même de la littérature, donc une forme d'art. On se jette sur l'autre feuille, celle où sont détaillés les points que l'on peut (à bon compte, à mon avis), acquérir pour peu que l'on ait (vaguement) écouter en classe. Beaucoup de ces questions pourraient être traitées par des élèves de cinquième, presque toutes en réalité.
Qu'ont-ils donc acquis pendant les mois suivants, pendant cette quatrième et ce début de troisième, période pourtant si importante à mon avis pour l'acquisition de la culture et la formation de l'esprit critique? Peut-être plus qu'on ne pense mais cela n'apparaît pas dans les question comme elles sont rédigées. J'ai peur qu'on ne leur demande sans cesse que de reformuler ce qu'ils ont lu, de rabâcher des phrases sur de sentiments pré-conditionnés et mal digérés. Dans tout cela, d'histoire littéraire et d'analyse en profondeur, point. On devrait former des hommes, on formate des perroquets. La faute principalement sans doute au diplôme, ce fameux brevet indécrottable bien que parfaitement inutile, qui ne teste rien d'autre, lui aussi, que la plus ou moins grande facilité à régurgiter des banalités.
De quoi parle le texte? D'amour, bien sûr. Il s'agit, dans cette page, d'une rencontre enfantine: celle de Valentine et du narrateur qui, bien qu'âgé seulement de neuf ans, prend feu soudain pour elle dont on sait dès le début qu'elle le fera atrocement souffrir. Ainsi donc tombe-t-on encore une fois dans la démagogie. On veut faire plaisir à ces adolescents en leur proposant un sujet qui devrait, a priori, les intéresser puisque la plupart d'entre eux en sont à ce stade de découverte des sentiments et des pulsions profondes. Or le cadeau est un peu trompeur: à peine le ruban défait et le papier déplié, on se rend compte qu'il s'agit d'un amour d'enfance, donc stade par eux relativement dépassé, et que cet amour est présenté comme l'origine d'une souffrance. Point de vue d'emblée négatif sur ce qui concerne leur avenir immédiat. Courage, les enfants: si vous ne savez pas ce qui vous attend, on va vous l'expliquer!
Lorsque j'avais leur âge, c'était bien d'amour dont on me parlait aussi. Amour de Rodrigue et de Chimène, amour de Pyrrhus pour Andromaque, amour parfois partagé, parfois malheureux, mais toujours distancié, dans le temps, dans l'espace, de par la différence sociale et la forme littéraire en cause. Entendre un roi grec déclarer sa flamme à une princesse troyenne d'une époque mythique sur des vers et par un vocabulaire du XVII° siècle, cela ne facilite pas l'identification.
Comment se fait-il alors que j'en garde ce souvenir toujours émerveillé? La distanciation ne permettrait-elle pas que se mettent en place deux aspects capitaux à cet âge et à tout âge sans doute: la réappropriation à soi-même, l'adaptation à sa propre vie, à ses propres sentiments, avec l'effort nécessaire pour cela, réappropriation bien différente d'un simple copier-coller, et, d'autre part la dimension du rêve, cela surtout, du rêve qui, dès qu'il nous envahit, nous fait entendre la plainte rythmée de l'alexandrin dans l'immensité froide d'un péristyle austère.
Ce fameux lieu de la tragédie, cet espace artificiel qui permet les rencontres et les échanges au sein du palais, m'est devenu, au fil de mes études, parfaitement naturel, de même que la chanson des hémistiches et les périphrases parfois guerrières pour évoquer les passions interdites. Phèdre m'a fait grandir plus sûrement que ma première revue pornographique ou que la lecture du premier roman moderne "libéré". Je souhaite aux élèves actuels, à ceux du moins qui en seraient heureux, de pouvoir, au cours de leur formation, bénéficier de la même chance que moi à qui on a donné sans démagogie, sans recherche aucune de la facilité, les outils pour accéder à une forme de plaisir absolu.
(Alors que je terminais ce texte ce matin en salle des professeurs, on est venu me chercher: j'avais oublié mon cours avec les cinquièmes. Confusion non pas des sentiments mais, plus prosaïquement, de l'emploi du temps du jeudi et de celui du vendredi.)
jeudi 14 janvier 2010
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4 commentaires:
C'est étrange, en te lisant, je me suis demandé si des histoires d'amour m'avaient "emerveillé". Et rien ne m'est venu en tête.
Problème d'identification trop difficile sans doute...
Les examens ne sont sans doute pas pour la plupart des collégiens ou étudiants les meilleurs moments pour penser à l'Amour !
Sinon, je suis bien d'accord avec ce que tu dis de la puissance émotionnelle que peuvent avoir les "grands" textes. Je l'ai éprouvée en temps et heure...Malheureusement de plus en plus on préfère dans les hautes sphères éducatives se mettre au niveau, présumé, des élèves plutôt que de les tirer vers le haut. Résultat on les tire vers le bas, ce qui conforte ensuite les supposés d'origine. Et le serpent se mord la queue.
Ça me rapelle un type appartenant à je ne sais plus quelle variante protestante, qui m'avait offert une bible dite "en langage facile". Quelle crise de rigolade à la lecture de la genèse ! C'est là que j'ai appris que le 7ème jour Dieu avait iventé l'électricité !!!!!!!!! Incroyable mais vrai. Le mot Lumière était sans doute trop abscons ?
Mon tout beau (Et je ne ne dis Ca qu'à toi, tu le sais, Lancelot n'est que mon petit chat )il faut me promettre de lire, de Gary :
- La promesse de l'aube
- Les Racines du Ciel
- Lady L
Après, seulement aprés, je m'offre à toi sans restriction et m'abandonne à tes désirs les plus atomiques.
Chiche ?
Lorsque j'étais élève, je me souviens que les tragédies en vers m'avaient rebuté au départ, et puis, sans même que je m'en aperçoive, j'avais fini par intégrer ça comme un jeu amusant.
En terminale, il m'est même arrivé d'en lire pour le plaisir, sans avoir à les étudier : Hernani, Ruy Blas... Et, aujourd'hui, je m'évertue à démontrer aux élèves que, loin d'être la vieille barbe qu'ils croient, Shakespeare est un auteur marrant comme tout.
N'oublie pas, à la liste suggérée par Kranzler, de rajouter 'Les Cerfs-Volants' et 'Gros-Câlin' (c'est même pas une vanne de circonstance, en plus : j'avais beaucoup aimé ce livre-là).
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