Ce soir, j'ai l'impression qu'il est très tard.
Je suis légèrement enrhumé, j'ai la gorge sèche et qui gratte, j'ai un peu froid. Je n'ai rien fait de la journée, enfin pas grand chose. Je ne sais toujours pas très bien comment m'y prendre pour ne rien faire mais je me force. "Restez bien au chaud aujourd'hui!" m'a dit le médecin ce matin. C'est ce que j'ai fait. Résultat: une journée immensément longue. Comment le temps, d'habitude si avare de lui-même, peut-il parfois s'étendre ainsi comme de la guimauve à la fête foraine?
J'ai cru retrouver un peu l'atmosphère de la maison de mon enfance lorsque j'étais malade, avec une forte fièvre, et que je restais couché dans mon lit, sous un gros édredon, à regarder se mouvoir les motifs du papier peint, qui formaient, dès que ma mère tournait le dos, d'étranges figures monstrueuses ou fantomatiques. Lorsque je sombrais dans le sommeil, celui-ci prolongeait ma veille et s'y substituait sans discontinu, de même que le réveil gardait encore pour quelques instants des images du rêve à peine achevé.
Ainsi vivais-je un jour ou deux dans une longue parenthèse dont, lorsque j'en étais sorti, ne restait rien de fixe ni de sûr, des bribes de mots échangés avec ma mère, un rayon de soleil qui éclairait un instant la couverture du livre posé sur l'édredon ou glissé, ouvert, jusqu'au sol, le klaxon du boulanger qui faisait sa tournée et me réveillait de ma somnolence, les rires joyeux des autres qui repartaient à l'école où je n'irais pas ce jour-là.
Mais tous les monstres engendrés par ma fièvre avaient disparu, s'étaient enfuis devant ma conscience renaissante et il fallait que j'observe attentivement le mur ou le plafond, à m'en faire mal aux yeux, pour entr'apercevoir, l'espace d'un souffle, l'ombre de l'un deux glisser furtivement dans le coin de la chambre et s'y évanouir.
Loin de m'effrayer, ces présences fantomatiques me rassuraient: je n'étais pas seul et je savais, au fond de moi, que je pouvais les convoquer ou les dénier comme je le voulais, quand je le désirais. Elles acceptaient aussi de prendre les formes que je souhaitais leur donner et, si la lumière changeante du matin ou de l'après-midi, jouait à en créer de nouvelles, mon imagination était encore la plus forte et ni l'ombre ni la clarté ne pouvaient rien contre mes fantaisies de drogué.
Mais ce que j'appréciais pas dessus tout, c'était d'être à ce moment-là, à un endroit où je n'aurais pas dû être, comme si cette présence intrusive pouvait intercepter des secrets cachés le reste du temps dans les gestes familiers de la domus, comme si l'air, les bruits, les objets n'étaient plus tout à fait les mêmes, vivant, sans tenir compte de ma présence fiévreuse, de leur propre vie, le temps des absences, le temps du silence des hommes. J'apprenais le mystère.
Aujourd'hui, cette imagination s'est envolée, je n'ai pour me la rappeler qu'un vieux plaid à me recouvrir les jambes pendant la sieste, qu'un livre à déposer quand les yeux refusent de poursuivre, qu'un rayon de soleil qui joue sur sa couverture ou sur le papier froissé du bonbon à la menthe, semblant, pendant que je m'endors, me susurrer: Souviens-toi.
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14 commentaires:
T'es balade??...
euh!...n'ai bien une 'tite idée....hé hé!...
A conserver pour les grandes occasions, Piergil. Il ne faut pas gaspiller!
Vos billets, jour après jour, forment une fresque, une sonatine des choses de la vie.
Je vous lis, je retrouve le toucher de la couverture, la tache de soleil, les bruits de la rue... tout ça.... tout ça.... qui est l'amour de la vie, l'amour de l'amour.
J'aime ces parenthèses, ces instants hors du temps. Je ne sais pas pourquoi ces moments nous ramènent souvent à l'enfance...
Non, sans rire, le breuvage de mon grand-père : une tisane de camomille, du miel, du jus de citron et du rhum brun; le tout chaud et vite sous un plaid !
PS : bonjour Océania (si tu m'y autorise Calyste).
Lire un billet de Calyste c'est comme savourer ce fameux bonbon au caramel au goût Original...
A sucer doucement ou non ? Caramel dur ou mou ? Non, c'est trop imprécis tout ça...
Nous voulons tous en savoir plus Nicolas !
Merci à Oceania,Pierre-Yves et Nicolas Bleusher pour tous ces compliments.
Quant à Petrus, lui faudrait-il un peu de bromure?
Je réagis au mot « compliment »
Je ne souhaite pas que les petits messages laissés sous certaines pages de votre blog soient compliments, louanges ou félicitations.
Simplement le bruit d’un cœur, d’un souvenir éveillé.
Simplement un sourire d’amitié, de complicité.
Simplement témoignage de la joie, du plaisir de vous lire.
Complément de sensibilité reconnue et amie.
Existe-t-il un mot pour tout cela ?
J'ai usé d'un raccourci, Oceania, et je suis d'accord avec vous. Ce n'est pas le bon mot. Je sais que nous n'en sommes plus, que nous n'en avons jamais été, aux compliments. Mais comment appeler ces marques de sensibilité commune? Il n'existe pas de mot, je crois. Peut-être ne devrais-je pas répondre à ces commentaires mais je veux que l'on sache qu'ils me touchent. Et vous savez combien j'en ai besoin.
"Bromure" ? Alors, on partagera !
Je crains qu'une demi-dose ne soit pas suffisante! :-))
Je ne pense pas que cette imagination se soit "envolée", comme tu l'expliques dans le dernier paragraphe de ta note. Tu n'as plus l'habitude de rester malade au lit, tu ne restes plus "à ne rien faire". Mais l'enfant n'est jamais très loin... Si tu prends du temps pour t'écouter, il remonte à la surface. Lui, et l'imagination avec lui.
Oui, Lancelot, mais non aussi!
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