La fin d'après-midi avec ma mère est composée d'une succession de rituels à reproduire à la lettre pour conjurer l'angoisse, pour éloigner le spectre sinistre de la nouveauté. Ma mère a horreur de l'imprévu. Tout doit chaque jour se reproduire à l'identique: la répétition éloigne sans doute le danger de vivre. Je ne me moque pas: je doute d'être sensiblement différent quand j'aurai atteint le même âge.
Un des rituels, plutôt un des meilleurs, est de s'installer devant la télévision pour regarder d'abord Des Chiffres et des lettres puis Questions pour un champion. Outre le fait qu'il y a beaucoup plus bêtes et débilitants comme émissions, je leur reconnais l'immense vertu de faire encore un peu fonctionner le cerveau de ma mère. A part la rumination de ses angoisses, c'est sans doute la seule activité qu'on lui propose dans la journée.
D'ailleurs, elle me surprend régulièrement par les réponses qu'elle donne certains jours, en particulier pendant Des Chiffres et des lettres, où elle n'est pas gênée par sa surdité. Même en calcul mental, où je suis pourtant assez doué, elle arrive parfois à trouver le bon compte alors que je patauge encore lamentablement.
Mais ce qui vaut son pesant de cacahuètes, ce sont les publicités que France 3 en profite pour balancer dans cette tranche horaire sans doute très fréquentée par un public plutôt âgé. Se succèdent ainsi la réclame pour la serviette qui vous met à l'abri de toutes les fuites, Mesdames, même s'il vous prend l'envie ( mais à qui ne viendrait-elle pas?) de vous perdre dans le désert en compagnie d'un fort séduisant chamelier; l'éloge, plus relevé, du siège grimpe-escalier, même l'escalier qui tourne: il suffit d'appuyer sur un bouton (la publicité ne dit pas si les piles sont fournies en cas de panne d'électricité ou de ces satanées grèves du service public!) et de prendre garde à ne pas froisser son pantalon de flanelle (on peut toutefois se lâcher d'une main pour remettre en place son foulard de soie); les ébats de deux sexagénaires (pour le moins) au milieu d'un champ de neige, se roulant dans la poudreuse comme deux jeunes chiots batifolant près de leur mère aux regards attendris et, comme ces canidés en herbe (l'image est osée, puisque d'herbe on n'en voit point, neige oblige!) montrant en gros plan sur l'écran une denture parfaite, blanche et bien alignée, où rien ne manque, pendant que l'on vous informe que l'un des deux joyeux drilles portent un appareil dentaire! Non! Si! Et je vous le prouve: ils mordent tous deux à belles dents dans la vie et dans une pomme (là, je ne suis pas sûr de moi, pour le comestible), tout contents de leur gel fixateur.
Le fin du fin, le relevé, le clin d'œil à la culture, c'est Hossein qui apparaît certains soirs et nous vante les mérites de ... de quoi déjà? d'un appareil auditif ou d'un contrat obsèques les doigts dans le nez (c'est pas gênant, les doigts dans le nez, quand on est mort: il n'y a plus d'air qui passe et, en plus, personne ne peut plus vous voir!). Et quand je me retourne vers ma mère pour échapper à toutes ces roses prédictions sur mes années à venir, je vois sur son plateau-repas le petit pot de compote qu'on lui sert tous les soirs (pomme/pruneau, pomme/ananas, pomme/banane, pomme/pomme, pomme/kiwi) et qu'elle refuse de manger.
Alors, moi je dis: bravo, ma mère, et mort à la pub, service public ou pas!
mardi 23 décembre 2008
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4 commentaires:
Il faut sans doute un grand courage pour vivre et le vouloir dans cette forme d'isolement.
Tous tes textes sur le sujet me fond froid dans le dos. La peur, sans doute.
Hummm... Pomme cannelle !
A vouloir devenir vieux !
Curieusement, j'employais dernièrement l'expression d'Olivier : froid dans le dos. Mais dans un sens un peu différent. Ou pas.
En tous états de cause, un bon Noël à toi et à ta maman !
"Me font" ! Comment ai-je pu :)
Je suis trop proche de tout ça pour te répondre, Olivier.
Merci, Nicolas. je suis d'accord pour le pomme/cannelle (mon pain d'épices). Bon Noël à toi aussi.
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