mercredi 17 décembre 2008

La tonte.

En balade dans les Jalons du temps, chez Totem, j'y ai lu son billet sur la tonte des brebis et vu la photo jointe. Cela m'a remis en tête des épisodes de mon enfance, lorsque mon père, au petit troupeau de chèvres que nous possédions, avait ajouté quelques moutons.

Il avait, en particulier, fait l'acquisition d'un couple de race, des "bleus du Maine", censé se reproduire et augmenter le nombre de têtes en notre possession. Au bout du compte, la faute à qui, mâle ou femelle? le couple resta sans descendance aucune. Ces deux spécimen étaient, en tout cas dans mon souvenir, beaucoup plus imposants que les autres. A un museau très sombre, virant au noir, d'où le nom de la race, s'ajoutait une corpulence hors du commun. Si la brebis était douce et obéissante, il n'en allait pas de même du mâle, toujours un peu agressif. Je me souviens d'un coup de ce museau que je ramassai un jour dans les fesses, alors que je me penchais pour attraper un agneau (en effet, nous les isolions des adultes pour la nuit), coup de butoir qui me fit promptement atterrir dans l'épaisseur de fumier qui tapissait leur bergerie.

Ce fumier était bien particulier. Autant l'odeur de celui des vaches ne me déplaît pas, autant celui de mouton est acide et fortement ammoniaqué. Lorsque mon père, que j'ai cru reconnaître sur la photo de Totem, nettoyait la bergerie, il en avait l'alliance qui verdissait à son doigt, et tout l'appartement qui, dans cette vieille ferme des mines, se trouvait au-dessus de la partie réservée aux bêtes, était pour la journée envahi par cette odeur aigre et irritante.

Bien sûr, mon père se chargeait lui-même de la tonte de nos bêtes. Certaines se laissaient faire, docilement, mais d'autres, par caractère, parce que la position prise n'était pas la bonne, se débattaient vigoureusement jusqu'à ce que mon père parvienne à les coincer convenablement. Mais il n'était guère patient et quand l'une d'entre celles l'avait suffisamment énervé, il lui arrivait de manier trop vigoureusement la cisaille et d'entamer le cuir de la brebis. Lorsque l'enfant que j'étais lui en faisait la remarque, il me répondait qu'elle n'en souffrirait pas. J'en doute encore aujourd'hui.

Cette laine était entassée dans un autre coin de l'écurie, près des grands sacs de blé que l'on donnait aux poules et aux canards. Ces sacs étaient profonds et lorsqu'ils étaient à moitié vides, il fallait plonger presque entièrement dedans pour pouvoir attraper une gamelle pleine de grains. Un soir, je voulus me rendre compte "de tacto" du niveau restant dans le sac et y ai directement introduit la main. Mais, au lieu de rencontrer la surface grumeleuse du blé, j'attrapai quelque chose de mou et de très doux, que je relâchai immédiatement en criant: j'avais cru avoir à faire à une souris, ce qui n'aurait rien eu de surprenant,mais ce n'était qu'une boule de laine tombée du tas dans le sac. Une de mes plus belles frayeurs enfantines.

Une fois les beaux jours venus, nous lavions cette laine, la débarrassions de tous les corps étrangers, crottes, feuilles, branchettes, chardons qui s'y étaient emmêlés, nous la cardions un peu. De terne et sale, elle devenait, au bout, fine et blanche, douce et légère. Nous pûmes ainsi faire restaurer plusieurs matelas de la maison, que le matelassier emplit de cette laine entièrement produite par nos soins (et ceux de nos moutons).

Lorsque c'était la période des agneaux, il y avait également plusieurs tâches à accomplir. Veiller à ce que la mère n'abandonne pas son petit et, si c'était le cas, le donner à élever à une autre brebis qui voulait bien l'accepter. Séparer pour la nuit les adultes et les jeunes, qui avaient leur propre espace dans la bergerie. Parfois nourrir au biberon quelques agneaux un peu plus chétifs ou dont la mère n'avait pas suffisamment de lait. Leur prendre la queue à la base dans un élastique bien serré afin que, quelques temps plus tard, après s'être desséchée, elle tombe d'elle-même. Non, ce n'est pas douloureux, pas chez les agneaux en tout cas! (Autrement, Piergil, je n'ai pas fait l'expérience!).

Je n'aimais pas cette période car je savais qu'invariablement ces agnelets allaient terminer leur courte vie à la casserole. Je suis sans doute moins sensible aujourd'hui, mais je ne pourrais jamais me résoudre à tuer moi-même un animal, même si je ne fais aucune difficulté maintenant pour l'apprécier en plat préparé dans mon assiette.

Un souvenir encore, lié à cette époque où nous avions des moutons. Je devais être en sixième ou cinquième, dans ce lycée hyper bourgeois de Saint-Étienne que j'ai déjà évoqué plusieurs fois. Nous étions en train de rédiger pour une composition de rédaction. J'étais assis, je m'en souviens, à côté du fils du médecin des mines, que la profession de nos pères avait rapproché de moi, si l'on peut dire. Alors que j'étais perdu dans mes idées ou dans mes phrases, je vis tout à coup tomber quelque chose de ma tête sur la copie, quelque chose de sombre et qui bougeait, que l'on ne pouvait pas ne pas voir sur le blanc de la feuille. Il ne me fallut pas longtemps, un quart de seconde, pour reconnaître l'intrus: un gros pou de mouton que je fis prestement disparaître avant même que mon voisin ait pu voir de quoi il s'agissait. A sa demande d'information, je répondis que c'était d'une araignée. Impossible à vérifier: mon soulier avait réduit le tout en une bouillie sanguinolente et peu identifiable. Mais je l'avais bien vu: c'était un pou. J'en restai écœuré le reste de la journée et mon père eut beau m'expliquer le soir que cette bestiole ne s'attaquait pas à l'homme, qu'elle ne pouvait nicher et se reproduire sur un humain, je continuai à ne pas admettre cette présence sur moi et à frémir lorsque j'y repensais, plus sans doute pour la peur d'avoir été repéré que pour celle de la petite bête elle même. Il n'empêche qu'à partir de ce jour-là, je serrai de moins près les agneaux, tout doux soient-ils, et ne les confondis plus avec de tendres peluches animées.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Ne vois pô du tout de quoi tu veux parler..... O:)

Anonyme a dit…

Une belle histoire finalement, la chute en est cocasse. Merci pour le lien.

Anonyme a dit…

Je ne t'imaginais pas une enfance dans ce cadre là.
On s'y croirait :)

Fabrice a dit…

A cette époque, y'avait encore des dinosaures ?

Calyste a dit…

Je te ferai un dessin, Piergil.
Merci à vous, Totem, de m'avoir remis ces scènes en mémoire.
Tu as encore beaucoup à découvrir, Olivier!
Cher Fabrice, j'ai déjà dit à Philippe qu'on avait mangé le dernier pour mon baptême. Tu pourrais suivre!