C'était l'odeur de la maison.
Quand nous arrivions, il faisait froid, un degré au-dessus en général, hors gel mais froid. Le sol était parfois humide de l'eau qui s'était infiltrée sous la porte, parfois taché seulement. Quelques araignées avaient recroquevillé leurs grandes pattes de faucheuses dans leur agonie. Quelquefois une souris finissait elle aussi sa momification.
Nous déposions les valises dans les chambres, à l'étage, et les provisions sur la table de la cuisine. Nous ne quittions pas nos manteaux, nous bougions rendus un peu gauches par l'épaisseur du tissu. D'abord, nous remontions le coucou et libérions la petite fenêtre du crochet métallique qui la maintenait fermée pendant notre absence. Les poids en pommes de pin retrouvaient leur position haute, et nous réimprimions un mouvement au balancier qui ne s'arrêterait plus jusqu'à notre départ, dernier geste avant de refermer la porte. J'aimais ces treize coups qui s'égrenaient automatiquement avant que l'appareil ne se règle de lui-même sur la bonne cadence. Treize coups, un de plus, comme pour nous souhaiter la bienvenue.
Et puis il fallait s'occuper de la cuisinière à fuel. Ouvrir la porte que nous avions percé dans le mur épais entre la maison et l'écurie, redonner vie à ces ténèbres où s'entassaient chaises et table de jardin, vieilles tuiles et restant de céramiques, buffet ancien et brouette métallique récemment acquise pour remplacer son ancêtre de bois qui n'en pouvait plus, tirer le petit portillon qui fermait autrefois l'enclos des cochons, prendre l'arrosoir de onze litres et ouvrir le robinet de la cuve de plastique moulé que nous avions récupérée je ne sais où. Sous le robinet d'où s'échappaient encore quelques gouttes à la fin de l'opération, nous avions placé une petite bassine pour récupérer le liquide visqueux.
Munis d'un vieux chiffon graisseux que nous appuyions sur le bec verseur, nous revenions à la cuisine où commençait l'opération la plus difficile: transvaser sans rien en laisser tomber le fuel de l'arrosoir au réservoir du chauffage. Si nous en répandions un peu sur le dessus de la cuisinière, il fallait s'attendre à payer notre maladresse pendant de longues heures.
Enflammer le combustible n'était pas non plus chose aisée. Parfois la charogne ne voulait rien savoir, parfois le fuel n'arrivait pas. Il fallait alors désosser, nettoyer, remonter, réessayer, tout cela à un degré. Mais lorsqu'enfin le liquide s'embrasait, je regardais, fasciné, la lueur bleue de la flamme qui s'affermissait peu à peu, je l'observais comme dans mon enfance je regardais l'œil bleu du vieux poste de radio de ma grand-mère, essayant d'y apercevoir les villes dont les noms me faisaient rêver, Sottens particulièrement, dont j'ai mis très longtemps à savoir où cela se situait...
Il fallait ensuite laisser à la maison le temps de se réchauffer, de s'imprégner de l'odeur en même temps que de la chaleur, les deux indissociablement liées dans mon souvenir. Dans les chambres, nous ouvrions les lits, pour en chasser l'humidité. J'installais sur la table de nuit, après avoir vérifié le bon fonctionnement de la petite lampe de chevet à chapeau de velours rouge, le roman qui allait m'accompagner pendant quelques jours, heureux déjà du bonheur que ce serait, le soir venu, de me glisser sous l'amoncellement de couvertures et de lire longtemps, en ne laissant dépasser que la main pour tourner les pages.
Et puis, ce serait la nuit, avec une vague conscience sur le matin du trottinement des souris entre les deux épaisseurs du plafond, puis, selon la saison, de l'aboiement des chiens partant pour la chasse ou du vacarme des oiseaux dans le grand noisetier. Se retourner dans sa chaleur, sur le matelas de crin, caresser de la joue l'oreiller, entendre Pierre respirer calmement dans la chambre voisine et se dire qu'on avait tout le temps, qu'on était en vacances et que le feu tiendrait bien encore une heures ou deux.
L'été, nous trouvions salades et légumes devant la porte. L'hiver, elle s'ornait d'une décoration de gui, de houx et de différents branchages ramassés dans les alentours. A l'automne nous allions aux champignons, au printemps je guettais les premières fleurs du forsythia. Des rites imbéciles, le bonheur en fait, qui m'étonne encore.
( Ce billet m'a été inspiré par celui-ci, de Nicolas Bleusher, que je remercie d'avoir réveillé mon souvenir.)
lundi 22 décembre 2008
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