jeudi 17 août 2023

La chambre du haut

L'hiver, nous dormions là-haut. La chambre du bas, que nous partagions avec mon frère, était trop froide. C'était sans doute ancienne grange. Le portail en avait été muré avec de la brique qui colorait la façade de pierres. Pour y monter, il fallait passer par la chambre des parents (où mes sœurs dormaient aussi) et emprunter un escalier tordu. Sur le pallier, la machine à coudre de ma mère, une Singer avec l'acrobate qui se mettait à tourner quand on actionnait la pédale. C'était le premier attrait de cette chambre du haut. 

Elle possédait une toute petite fenêtre, à hauteur de chevilles, qui donnait sur le pré du bas, la mare et la route qui conduisait sur la place du village après le grand virage contournant les deux peupliers qui existent encore. Pour lire, je m'asseyais sur le rebord, pas trop profondément à cause du vertige. J'y écrivais aussi des poèmes que je cachais soigneusement à mon frère. 

Elle possédait un poêle à charbon ventru qui expliquait notre exil hivernal. Une nuit, nous eûmes très peur : nous avions trop bourré la gueule de ce poêle et il s'est mis à ronfler comme un damné. Il avait fallu éteindre le foyer rougeoyant avec un seau d'eau. Dans l'armoire, il y avait mon jeu préféré (un des rares que nous possédions) : une boîte de construction avec des éléments en bois pour confectionner un chalet suisse. Seuls les volets en étaient en plastique. 

Après cette chambre, une porte qui donnait sur deux greniers. Nous avions un peu peur des habitants qui pouvaient s'y trouver (monstres, sorcières ou autres) mais, en tant qu'aîné, je me devais d'afficher une forme d'assurance que j'étais loin de ressentir. Nous avions interdiction de pénétrer dans le second car il ne possédait pas de véritable plancher et, si nous ne marchions pas sur les poutres, nous risquions de passer au travers. 

Nous pouvions entrer dans le premier à une seule occasion : quand mon père avait tué le cochon. Nous y faisions les saucissons et saucisses avec une grosse embosseuse. Le tout se retrouvait bientôt pendu aux poutres du plafond pour sécher, ou dans de grosses jarres, entouré de papier journal. Je ne me souviens pas d'y avoir jamais vu une seule souris. 

L'été, nous redescendions à la chambre du bas où je retrouvais le cosy, la vieille boîte de dragées que j'y cachais avec mon trésor de quelques pièces jusqu'à avoir assez pour m'offrir un livre de la Bibliothèque Verte, et la petite vierge phosphorescente que ma mère y avait placée. 

Pourquoi tous ces souvenirs aujourd'hui ? Peut-être à cause de la canicule ?

6 commentaires:

plume a dit…

Ah la boîte à chalet suisse je l'ai eue aussi ! Pas de plastique, mais faut dire qu'elle datait d'avant-guerre, et avait appartenu d'abord à mon "vieux" frère. Et incroyable mais vrai, mon fils en a hérité. Arrivé dans les années 80/90, un jeu de construction en bois c'était carrément grand luxe !

cão a dit…

les souvenirs sont nomades, libres et irrésistibles ...

Cornus a dit…

Ah, je me souviens bien de l'ancienne "chambre" où l'on faisait sécher les saucisses, saucissons, rosettes, bons-jésus dans la ferme de mes grands-parents puis oncle et tante et de mon cousin actuellement. Ils étaient pendus, jamais dans des "jarres" que nous appelions "berthes" (orthographe non garantie).

Calyste a dit…

Plume : il a eu un succès incroyable, ce jouet !

Câo : surtout en vieillissant, je trouve.

Cornus : nous, nous disions biches.

Cornus a dit…

Calyste> Eh bien pour moi, les biches, c'était pour stocker le lait en attendant de le vendre ou de s'en servir et c'était en aluminium (ou acier galvanisé ?). Les berthes, en grès émaillé, c'était pour mettre, entre autres, le fromages à cailler, mettre aussi certaines charcuterie au sel et plein d'autres choses, mais pas de saucissons.

Calyste a dit…

Cornus : on mettait aussi chaque soir devant la porte une biche en alu (?) pour le passage du laitier.