J'ai entendu, l'autre jour, ce texte de Jean-Pierre Vernant lu à la radio. Je l'ai trouvé simple, splendide et totalement contemporain. J'ai pu le retrouver sur internet. Le voici :
"Passer un pont, traverser un fleuve, franchir une frontière,
c’est quitter l’espace intime et familier où l’on est à sa place pou pénétrer
dans un horizon différent, un espace étranger, inconnu où l’on risque,
confronté à ce qui est un autre, de se découvrir sans lieu propice, sans identité.
Ce dedans rassurant, clôturé, stable, ce dehors inquiétant, ouvert, mobile, les
Grecs anciens les ont exprimés sous la forme d’un couple de divinités unies et
opposées : Hestia et Hermès.
Hestia est la déesse du foyer, au cœur de la maison. Elle fait l’espace
domestique qu’elle enracine au plus profond d’un dedans, fixe, délimité,
immobile, un centre qui confère au groupe familial en assurant son assise
spatiale, permanence dans le temps, singularité à la surface au sol, sécurité
face à l’extérieur.
Autant Hestia est sédentaire, refermée sur les humains et
les richesses qu’elle abrite, autant Hermès est nomade, vagabond, toujours à courir
le monde.
Il passe sans arrêt d’un lieu à un autre, se riant des
frontières, des clôtures, des portes qu’il franchit par jeu à sa guise.
Maître des échanges, des contacts, à l’affût des rencontres,
il est le dieu des chemins où il guide le voyageur, le dieu aussi des
étendues sans routes,
des terres en friche où il mène les troupeaux, richesse mobile dont il a
la charge comme Hestia
veille sur les trésors calfeutrés au secret des maisons.
Divinités qui s’opposent, certes, mais qui sont aussi
indissociables.
Une composante d’Hestia appartient à Hermès, une part d’Hermès
revient à Hestia. C’est sur l’autel de la déesse, au foyer des demeures privées et des édifices
publics que sont selon le rite accueillis, nourris, hébergés les étrangers venus de loin, hôtes
et ambassadeurs.
Pour qu’il y ait véritablement un dedans
encore faut il qu’il s’ouvre sur le dehors pour le recevoir en son sein.
Et chaque individu humain doit assumer sa part d’Hestia et sa part
d’Hermès.
Pour être soi il faut se projeter vers ce qui vous est étranger,
se prolonger dans et par lui.
Demeurer enclos dans son identité, c’est se perdre et cesser
d’être.
On se connaît, on se construit par le contact, l’échange, le commerce avec l’autre.
Entre les rives du même et de l’autre, l’homme est un pont."
(Jean-Pierre Vernant, La Traversée des frontières. Ed. Seuil. 2004.)
mercredi 10 mai 2017
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2 commentaires:
Intéressant. Si l'Homme est un pont, certains individus sont des ponceaux, d'autres des viaducs.
Cornus : Merci de réagir à ce texte que je trouve très beau. Je pensais qu'il susciterait plus de commentaires ...
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