Pourquoi aimer à ce point les mots ? Rien ne m'y prédisposait pourtant. Issu d'un milieu très humble, j'eus la chance d'avoir une mère qui aimait la lecture et n'a jamais censuré les miennes. J'eus l'autre chance de faire des études classiques dans le meilleur lycée de Saint-Étienne à l'époque et d'y connaître des professeurs exceptionnels, des puits de science qui m'ont fait aimer la littérature.
Ce n'était pourtant pas gagné d'avance : ce lycée était en principe réservé aux hautes classes de la société stéphanoise et j'aurais dû normalement atterrir dans un autre, moins coté. Comment suis-je arrivé dans celui-ci, je n'en sais rien, pas plus que sur mon orientation en lettres classiques. Les fils d'ouvriers y étaient très rares et souvent regardés d'un peu haut. Est-ce cela qui m'a fait me rebeller, vouloir me hisser à leur niveau (ou ce que je croyais être leur niveau), acquérir une culture qui n'était pas celle de ma classe ? Peut-être. Étant censément inférieur, je voulais leur prouver que je pouvais réussir.
Je le fis si bien que, pendant quelques brèves années, j'en vins à renier mes origines qui, alors, me faisaient presque honte. Cela ne dura pas car je me rendis vite compte de la richesse de cette autre culture, la populaire, que j'avais, moi, la chance de posséder en plus de l'autre. Lorsque j'arrivai à la faculté puis dans l'enseignement, on me prit souvent pour un bon bourgeois lyonnais, ce qui, en un sens, me comblait, mais ce que je me hâtais bien vite de nier, par amour de la vérité et sens inné de la provocation.
Aujourd'hui, tout cela me semble bien ridicule et je n'ai plus aucun de ces états d'âme de l'époque. Je sais le pouvoir des mots et je sais m'en servir lorsqu'il le faut. Et l'un d'entre eux me vient régulièrement à l'esprit : c'est merci. Merci à tous ceux qui m'ont fait ce que je suis.
vendredi 10 janvier 2014
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6 commentaires:
C'est la raison qui explique qu'on demande à Dieudonné d'arrêter : "le pouvoir des mots".
Je ne sais pas comment le goût des mots m'est venu, peut-être ma mère...
Et ensuite mes profs de français.
Je me souviens avoir fait une "fugue" étant gosse ; je n'avais gardé dans mon errance qu'un seul bouquin, pour ne pas m'encombrer : le Lagarde et Michard !
J'avais de quoi tenir quinze jours !
Chroum : mes L et M, je les ai aussi conservés précieusement. Pour le choix des textes, on n'a rien fait de mieux depuis. Pour les commentaires, je suis un peu plus dubitatif.
Oui Lichard et Magarde étaient de vieux... mais inspirés !
Moi aussi je les ai gardés ; pour les textes, les illustrations et l'ordre des siècles qui me font toujours et encore rêver...
Chroum : il m'a longtemps manqué le XX° siècle, prêté et jamais rendu. J'ai fini par le récupérer aux puces. Je tenais à avoir la collection complète.
Ce sont aussi ces origines, cette sensibilité assez peu commune, qui me plaisent chez toi. Ce dont tu parles s'est ensuite estompé, mais la différence de "classe" s'est de nouveau renforcée, même si elle est moins visible et peut-être finalement plus insidieuse ?
Cornus : merci.
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