jeudi 16 janvier 2014

Comment s'appelaient-ils ?

Comment s'appelaient-ils ? Je l'ai oublié, comme les détails de leurs traits. Des silhouettes me restent : lui, grand avait dû être un fort bel homme quelques années auparavant. Il en subsistait une stature imposante, bien que voûtée par l'âge. Elle, au contraire, était petite et frêle. Lui se taisait la plupart du temps, peut-être à cause de sa maladie dont je n'ai jamais su quelle elle était exactement. Mais sa bonhomie faisait excuser son silence. Elle, elle était souriante et affable, toujours prête à échanger quelques mots dans l'escalier où je les croisais souvent. C'est elle qui menait la maison pour sa grande armoire de mari.

Ils habitaient au premier étage, nous au second. C'est avec eux que nous avons d'abord tissé quelques liens, amicaux mais respectueux de l'indépendance de chacun, comme c'est la règle à Lyon. Une fois par an, ils partaient en vacances dans un établissement de Haute-Savoie, à Bossey, séjour dont son mari bénéficiait de par son ancien travail. Nous, nous étions souvent à Bons-en-Chablais, dans la maison familiale de Pierre. Un petit pas à faire et nous pouvions nous voir, ce que nous fîmes un après-midi d'été. Ils étaient radieux dans ce cadre serein et tellement contents de nous  retrouver. Ce n'eut lieu qu'une seule fois : ensuite, la maladie les frappa plus durement.

Nous avions (et j'ai toujours) à Lyon un carillon mural dans la cuisine. Nous le laissions égrainer son Westminster pendant la journée, mais la nuit, nous coupions la sonnerie pour ne pas les déranger.  Un jour, en revenant de faire ses course, elle m'en demanda des nouvelles. Pourquoi l'arrêtions-nous la nuit ? A mes explications, elle sourit et m'avoua, rosissant sous sa peau ridée, que cette marque des heures était pour elle une agréable compagnie pendant les nuits où elle ne dormait guère. Ainsi le carillon fonctionna-t-il, de ce jour, aussi bien la journée que la nuit.

Elle achetait tous les jours le journal, à la presse de l'avenue Félix Faure. Un matin comme les autres, elle ne revint pas. En sortant du magasin (ou était-ce avant d'y entrer ?), elle s'effondra sur le trottoir, terrassée par une crise cardiaque. Elle est enterrée au vieux cimetière de la Guillotière, là où Pierre repose aussi. Son mari, malade, dont elle avait tant pris soin, ne put rester seul et fut recueilli par l'un de ses enfants, quelque part, loin, dans l'ouest de la France. Nous ne le revîmes jamais et je ne sais par quel détour nous apprîmes un jour sa mort. A-t-il été inhumé aux côtés de son épouse ? Je ne le sais pas non plus. Un jour, peut-être, ferai-je l'effort de me renseigner au bureau du garde, à la Guillotière, mais à quoi bon ?

L'appartement fut vendu et loué à un jeune couple aux incessantes scènes de ménage. Les murs n'avaient pas l'habitude de ces hurlements et de cette violence. Nous non plus. Puis, à la séparation du couple, s'installa le fils des propriétaires, un étudiant en musique qui jouait du violoncelle. C'était moi alors qui bénéficiais du bruit de l'appartement voisin et ne me lassais pas des suites de Bach inlassablement reprises. Le musicien partit, un autre couple s'installa, lui calme, elle hystérique, et les cris reprirent de plus bel. Vinrent ensuite deux étudiants en pharmacie, aussi silencieux que peu sociables. Ils ne restèrent que dix mois et je n'eus guère le temps de les côtoyer. Puis l'appartement resta vide deux ou trois mois.

Aujourd'hui, grand bruit dans la cage d'escalier. De nouveaux arrivants s'installent. Comment seront-ils ? En les saluant, j'ai repensé à mes premiers voisins, ces deux vieux si charmants qui sont partis si vite. Mais comment s'appelaient-ils donc ?

2 commentaires:

Cornus a dit…

Ah les voisins ! Ceux qui habitent immédiatement de chaque côté ne sont pas intéressants. Mais au moins, d'un côté on n'en tend jamais rien et de l'autre, c'est rare.

Calyste a dit…

Cornus : cette nuit, de la musique. Est-ce que c'était déjà eux (elles) ?