En quelle saison était-ce ? J'en garde un souvenir d'automne, un automne ensoleillé où déjà les appartements fraîchissent, mais je n'en suis pas sûr. Ce pourrait tout aussi bien être en été. Pas l'hiver. Enfin, je ne crois pas. Faisait-il nuit? Était-ce le matin? L'après-midi? Je suis presque sûr que, dehors, il faisait soleil. Pourtant, je jurerais qu'il faisait un peu frais et que nous nous étions glissés sous une couverture, dans le vieux lit de la grand-mère, aux bois lisses et cirés. L'impression d'obscurité vient peut-être de ce que nous n'avions pas ouvert les volets, de peur d'être découverts là où nous n'avions rien à faire, surtout pas ce que nous fîmes.
Il avait découvert le Concerto n°1 pour piano de Tchaïkovski et voulait me le faire entendre. Ce fut un saisissement, la première fois. Les notes martelées du début me figèrent dans une sorte de crainte quasi mystique. Le romantisme échevelé du russe fit le reste. Quoi au juste? Je ne m'en souviens guère. Sans doute, comme toujours à cet âge-là (mais quel âge avions-nous exactement?), un bref moment de plaisir survolté suivi, après l'orgasme, d'une gêne indicible, de cette culpabilité sournoise qui nous faisait, chaque fois, nous rhabiller rapidement sans se jeter un regard, prononçant, parce qu'il faut bien meubler le vide, des paroles anodines qui accéléraient la séparation.
Pourtant, dans mon esprit aujourd'hui, tout est clair, je revois la scène, je ressens l'émotion, musicale et physique. J'ai tout réinventé, à ma convenance ? Seule le fin fond de ma mémoire le sait, dans le meilleur des cas. Et même si tout n'est pas vrai, n'a pas été exactement comme je me l'imagine, ça ne fait rien. C'est cette image-là que j'ai accrochée dans la tête.
vendredi 23 novembre 2012
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10 commentaires:
"Et même si tout n'est pas vrai, n'a pas été exactement comme je me l'imagine, ça ne fait rien."
j'ai aimé tout de ce texte (à part le fameux concerto, mais hein...bon...je peux mettre autre chose à la place !) mais c'est cette phrase que je retiens. tellement vraie !
L'association de la musique de Tchaïkovski à la découverte de la sensualité, ça parait trop beau..
Je crois que la musique a en effet le pouvoir d'imprimer dans la mémoire des émotions aussi fortes que celles que tu décris.
As-tu écouté récemment ce concerto pour écrire ce si joli texte ?
Ce concerto est fait pour ça ! Ce vieux pédé de Tchaïkovski savait très bien ce qu'il faisait. Ca fait partie des œuvres radicalement cul du romantisme finissant... Le "concerto" pour piano romantique(Mozart c'est du touche-pipi) plus que tous les autres, agite sérieusement les hormones. En même temps,que Tchaïkovski il a Saint-Saëns qui se défend pas mal dans le genre tout comme Brahms qui fait admirablement durer le plaisir... Après y a Rachmaninov, qui n'est pas triste.Ravel, Prokofiev , Stravinski, and c° vont faire croire que tout ça c'est fini... sauf qu'ils font exactement la même chose mais avec d'autres moyens... Faut dire qu'il a eu la grande guerre et puis l'autre aussi qui en ont fait débander plus d'un...
bien sûr je ne connais pas le morceau, et je suis à peu près sûr qu'il ne m'agiterait pas les hormones, mais le texte, lui, est troublant...
Tchaïkovski a bon dos.
La Plume: je suis depuis un peu revenu de mon engouement pour ce concerto. Mais lorsque je l'entends (rarement), les images reviennent, immanquablement.
Jean-Pierre: non, il y a longtemps que je ne l'ai pas entendu. Peut-être un mouvement, ces derniers jours, à la radio.
PP: peux pas te dire! Je n'ai pas connu les deux guerres dont tu parles... :-)
Karagar: le souvenir l'est aussi...
Dominique: il ne fut pas le seul...
Je ne savais pas à quoi correspondait cette oeuvre, mais j'ai recherché sur l'internet. Certains passages me disent quelque chose, mais bien sûr, il y a bien trop de marteau pour que j'apprécie véritablement (mais je ne déteste pas, attention).
Pour le reste, on aurait bien aimé que cela soit vrai.
Cornus: mais c'est vrai! En tout cas le fond de l'histoire. Je voulais simplement dire que la mémoire, parfois, transforme certains détails au fil des ans, sans que l'on s'en rende compte, et que ce que l'on raconte comme étant vrai, en toute sincérité et en se fiant à sa mémoire, peut ne pas tout à fait correspondre à la réalité de l'époque.
Ce qui est le plus triste pour moi, ce sont les conditions dans lesquelles on prend congé de l'autre. J'ai personnellement du mal avec ça, même si j'en comprends et accepte bien le processus.
Quant à la mémoire, j'ai l'impression de plutôt bien conserver les choses au fil du temps. Mais bon, je n'ai sans doute pas des heures de vol suffisantes !
Cornus: il ne s'agissait là que d'un congé momentané, le temps de laisser au désir l'occasion de renaître. Quant à la mémoire, demande à quelqu'un d'autre de te raconter un événement dont tu te souviens parfaitement. je suis sûr qu'il ne parlera pas de la même chose que toi. La mémoire, pour moi, est sélective, et ne choisit de garder que ce qu'elle veut bien, c'est à dire finalement ce qui nous arrange.
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