L'enfant avait eu un nouveau jouet. Comme ça, pour rien. Ce n'était ni sa fête, ni son anniversaire, ni la période de Noël. Pour rien. Ou plutôt parce qu'il avait fait un beau caprice, comme il savait si bien les faire, quand son ancien avait refusé de continuer à jouer. Un si beau caprice, si fort, si bruyant, si proche de l'hystérie que sa mère, excédée, avait fini par lui offrir celui-ci, en espérant que l'ancien serait vite oublié.
D'abord, il le trouva à son goût. Un jouet de petit garçon, tout neuf et pas compliqué à faire fonctionner. Bon, il lui semblait moins beau que le précédent mais puisque l'autre ne voulait plus rien savoir. Il l'observa d'abord, un long temps où, parallèlement, pour masquer son analyse, il lui prodigua toutes les caresses du monde, afin de mieux le séduire. Le jouet avait l'air d'aimer ça et, lorsqu'il le mit en route, tout se passa le mieux du monde. Pas de bruits désagréables, une bonne tenue. Avance par ici et il avançait par ici, recule par là et il reculait par là. Mets-toi sur le dos et il se mettait sur le dos. Un amour de petit jouet qui lui fit presque oublier l'autre. Il était déjà beaucoup moins compliqué et semblait heureux, pleinement, que le petit garçon passe autant de temps à jouer avec lui.
Bien sûr, le petit garçon se réservait le droit de l'abandonner parfois, dans un coin de la chambre, pour rejoindre celui qu'il avait utilisé si longtemps auparavant. Le jouet attendait et, lorsque le petit garçon revenait, les jeux reprenaient avec autant d'entrain, si ce n'est plus, car l'autre, malgré quelques velléités de vouloir participer, se bloquait toujours rapidement, ce qui provoquait la rage du petit garçon et sa tendresse accrue pour celui qui lui obéissait.
Et puis, un jour, alors que rien ne le laissait prévoir, le jouet blessa le petit garçon qui, inconscient du danger, ne l'avait pas ménagé. Le jouet se serait-il rebellé? L'enfant ne pouvait y croire, tant il était sur d'en être le maître incontesté. Cela le vexa à tel point qu'il envoya, d'un coup de pied rageur, voler le jouet à l'autre bout de la pièce. Il ne regarda pas pendant deux jours, occupé à d'autres jeux qui le détournèrent de sa colère. Un matin, il se souvint de lui et revint le prendre au pied du lit, là où il l'avait laissé. Dès qu'il appuya sur le bouton, le jouet reprit hardiment son rôle de jouet.
Mais le petit garçon en avait gardé une sourde rancœur et, à partir de ce jour-là, il multiplia brimades et froideurs, oublis et silences. Pourtant, chaque fois, au bout de quelques heures, il revenait auprès du jouet qu'il câlinait un peu et tout recommençait. Tout se passait dans la tête du petit garçon, car, croyait-il, un jouet, ça n'a pas de cœur. Il trouva bientôt bien plus drôle ce nouveau jeu fait de rejets et de retours que celui qui consistait bêtement à se plier aux indications de la notice. Alors, cela dura, dura, et le petit jouet se retrouvait immanquablement catapulté contre un meuble ou un mur avant de retrouver sa dose de câlineries.
Et puis, un matin, le jouet se détraqua. Il commença par fonctionner difficilement, par émettre de drôles de craquements, par partir à gauche alors qu'on lui ordonnait de filer à droite, par se mettre sur le ventre alors qu'on lui imposait de se mettre sur le dos. Mais quoi, se disait le petit garçon, un jouet, ça ne peut pas se révolter. Un jouet, ça n'a pas de cœur, ça n'a pas d'âme, ça n'a pas de volonté. Il continua à le malmener tant et si bien qu'un jour, le jouet, comme le précédent, s'arrêta de jouer. Bah, ce n'est pas grave, pensa le petit garçon, j'en aurai bien un autre. Il suffit d'un caprice pour cela.
A ce point du récit, il faudrait une morale, mais n'est pas La Fontaine qui veut...
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3 commentaires:
Un jour l'enfant devient un homme, et les autres hommes deviennent son jouet. Cercles vicieux.
Tu me fais penser à ces parents et gamins vus dans des supermarchés et à qui on achète un jouet "pour rien" parce qu'ils font un caprice. Ce n'est pas nouveau, j'ai vu ça depuis mon enfance. Il ne me serait pas venu à l'idée de faire ça quand j'avais l'âge, ni même de réclamer, même quand c'était "le moment".
Je n'ai jamais eu non plus ce rapport aux jouets, mais je l'ai aussi observé chez certains gamins qui ne savent pas quoi faire de leurs (trop ?) nombreux jouets. Cela fait peur et tout cela est très bien vu.
La morale ? Il y en aurait plusieurs possibles.
Nicolas: je pense qu'on n'est le jouet que de soi-même.
Cornus: je n'ai pas eu le cœur de les tirer....
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