mardi 11 janvier 2011

La Bataille de Toulouse

Lors d'une interview recueillie le 28 mai 1976 par J-L de Rambures et publiée chez Flammarion (Comment travaillent les écrivains.), José Cabanis disait: "Chaque nuit, car c'était une écriture quotidienne, je me forçais, après avoir lu les dix dernières pages (jamais plus) du texte de la veille, d'écrire la suite. Le risque d'une telle entreprise, c'est évidemment de rester court. Mais l'avantage, c'est de vous permettre de repartir chaque jour à neuf. C'est ce qui a pu donner à mes romans un certain imprévu dans le déroulement des faits qui est en réalité l'imprévu même de la vie."

C'est bien l'impression que l'on a en lisant son roman La Bataille de Toulouse (Gallimard), prix Renaudot 1966, décerné à l'unanimité comme le précise le bandeau rouge miraculeusement toujours présent sur ce vieux livre retrouvé au fond de ma bibliothèque alors même que j'abordais le sujet du travail des écrivains avec mes élèves et que je citais sa façon à lui de travailler.

Un homme, le narrateur, vient de mettre fin à une relation amoureuse avec une femme profondément aimée mais malheureuse et destructrice car partagée. Il pense pouvoir se consacrer entièrement à l'écriture d'un roman historique sur cette bataille de Toulouse qui opposa en 1814 Soult et Wellington. Mais Gabrielle ne se laisse pas si facilement oublier et, même absente, conduit peu à peu les pensées du narrateur vers le monde de son enfance qu'il retraduit alors.

Roman attachant et surprenant à la fois, mêlant extraits de ce qui devrait être un futur cycle romanesque (et qui finalement ne sera jamais écrit), souvenirs amoureux heureux et malheureux, scènes de la vie de province et même un très beau passage sur la foi qui habitait l'écrivain dans ses premières années. Mais la réussite absolue de Cabanis, à mon avis, c'est le début de son livre, lorsqu'il parle d'Hélène et analyse la relation passionnelle qui les unissait et la façon dont peu à peu cette passion se délite.

Je traduisais sans peine, j'interprétais, j'interrogeais adroitement, j'amenais Gabrielle de très loin jusqu'à un certain détail décisif, qu'elle livrait sans méfiance. Il y avait chez elle beaucoup de naïveté, mais aussi une vigilance toujours en alerte, et la certitude de ne rien laisser échapper de ce qu'elle voulait taire. Elle se trahissait sans doute, et à tout propos, mais à la dérobée, par un mot sans importance que je saisissais au vol. Je l'écoutais toujours avec curiosité, et songeais que le plus crédule des deux n'était pas celui qu'elle pensait. Elle ne se doutait pas que depuis longtemps je ne croyais plus un mot de ce qu'elle disait. Elle me racontait paisiblement ses histoires, et je me disais que la vie est curieuse, tout de même, qui m'avait conduit à vivre au-delà de la réalité, dans un monde entièrement truqué, une sorte de théâtre de marionnettes dont Gabrielle tirait les ficelles, avec la certitude que j'étais bon public.

4 commentaires:

piergil a dit…

Euuh!...Hélène, c'était pas à Troie? et si elle est allée à Pâris, l'est jamais venue à Toulouse... ou alors j'ai rien compris une fois de plus!
;-)

Calyste a dit…

Grazzie per l'italiano, Piergil!

Lancelot a dit…

Se "forcer" à écrire une suite, j'ai du mal à y croire. Ou alors, il devait revenir, inlassablement, sur ce qu'il s'était focé à écrire, pour l'améliorer. Ce qu'on se FORCE à faire, on n'y prend pas plaisir, et si on n'a pas de plaisir, c'est mauvais.

Enfin, selon moi. mais je ne suis pas José Cabanis, bien sûr.

Qu'en pensent tes élèves ?

Calyste a dit…

Je pense, lancelot, qu'il voulait dire qu'il se forçait à ne pas relire plus de dix pages avant de continuer à écrire.