jeudi 30 décembre 2010

Trésors

Pour accompagner KarregWenn.

Était-ce vraiment une boîte à trésors? Une caisse en bois, probablement, peut-être un simple cageot, coincé entre le mur et le vieux buffet où des rigottes d'échalas achevaient de fondre sur une assiette (tout ce qui coulait du fromage était pour moi). Juste après, il y avait un chiffonnier et la caisse à charbon.

Aucun autre enfant n'entrait chez ma grand-mère: les jeux se faisaient toujours à l'extérieur, devant les vieilles maisons en arc de cercle, dans une cour où les vieux disposaient leurs chaises le soir et où nous, les enfants, nous nous amusions. Personne d'autre que moi donc n'avait accès à cette caisse. Elle ne sortait jamais de la cuisine, sauf lorsque nous passions un moment chez les voisins, deux petits vieux chez qui je pouvais l'emporter.

Qu'y avait-il à l'intérieur? Je ne me souviens plus très bien. Aucun jouet digne de ce nom, en tout cas. Je me souviens principalement de trois ou quatre choses: d'abord une boîte de pâtes de fruits que j'avais reconvertie en aspirateur à billes. J'y jouais sur le large rebord en bois de la fenêtre dont la pente (on est en pays minier) permettait aux billes de rouler et, si je visais bien, de venir finir leur course à l'intérieur de la boîte. Je tâchais bien sûr de faire durer l'objet le plus longtemps possible sans l'abîmer car nous n'achetions pas des pâtes de fruits tous les jours!

Ensuite un vieil almanach Vermot qui, à cette époque, dans les premières pages, présentait les photographies de tous les députés de l'Assemblée Nationale en exercice (à moins qu'il ne se soit agi des sénateurs). Je les découpais tous, un à un, patiemment, en suivant bien avec les ciseaux, le rebord noir, sans baver, sans dévier. Ensuite,(et j'ai ça en commun avec KarregWenn), je les classais pendant des heures, par taille, par cheveux, par moustaches, barbiches, coiffure, que sais-je... Cette occupation me prenait des jours sans que jamais je ne m'en lasse. Je crois bien ne jamais avoir connu l'ennui dans ces années-là.

J'avais aussi, et c'était mon plus beau trésor, une boîte en bois rectangulaire qui contenait des cubes, en bois eux aussi, sur lesquels le fabricant avait collé des dessins représentant un douzième du grand dessin présenté sur le couvercle. D'autres modèles de cette sorte de puzzle se trouvaient au fond de la boîte elle-même. Je crois me souvenir que l'un de ces cubes avait été perdu, ce qui fait que jamais aucun dessin n'était complet au final. Lorsque j'eus composé ces paysages maintes et maintes fois, au point de connaître par cœur l'agencement des cubes de bois, je détournai le jeu dans un autre sens: je m'en faisais une locomotive avec des wagons, un engin de terrassement poussant des gravas, .... Tout cela dans le plus grand calme, bien sûr, puisque j'étais un enfant très calme.

Enfin, dans une petite boîte en ferraille (Pastilles Pulmoll? Bonbons au suc des Vosges?), je conservais précieusement des mines de crayons de couleurs provenant d'une boîte de Caran d'Ache (offerte par qui?) et que je ne me résolvais pas à jeter. Bien au contraire, loin d'utiliser les crayons en les retaillant, je me servais plutôt de ces petits bouts de rien du tout pour remplir mes albums à colorier. Je tenais ces infimes morceaux de mines entre mes doigts, en y prenant parfois des crampes, et j'œuvrais avec la plus grande précision possible. Lorsque le dessin était rempli, mon autre joie immense était d'en frotter certaines zones avec un coin de buvard, pour obtenir un aspect plus flouté.

Je crois qu'il y avait aussi une carcasse de voiture miniature et sans doute des tas d'autres choses que j'ai oubliées. Mais que l'on ne s'y rompe pas: avec mes déchets, mes rebuts, mes carcasses, j'étais le plus heureux des petits garçons. J'aimais être seul, je l'étais et ces objets furent ma première passion avant que la découverte des livres ne vienne me les faire oublier. Ils ont probablement fini à la décharge lorsque, à la mort de ma grand-mère, en 1960, son appartement fut vidé, car aucun ne réapparut dans mon nouveau "chez moi", c'est-à-dire dans une famille où m'attendaient déjà un frère et une sœur plus jeunes, dont je dus être responsable, et où le ventre de ma mère, déjà bien rond, n'allait pas tarder à livrer la petite dernière . Je crois que c'est ce jour-là, le jour de mon arrivée dans le cercle familial, que s'est arrêtée mon enfance. J'avais huit ans.

6 commentaires:

karagar a dit…

tu n'étais pas chez tes parents avant la mort de ta grand mère?

Calyste a dit…

Non, c'est ma grand-mère qui m'a élevé jusqu'à sa mort. Ensuite j'ai réintégré la cellule familiale.

Cornus a dit…

Eh bien les cubes de ma grand-mère étaient en plastique (époque oblige), étaient creux et s'ouvraient en deux de sorte qu'on pouvait les assembler différemment. Je me me souviens véritablement que de ça de la "boite" de ma grand-mère. Je jouais sur la table de la salle à manger qui est maintenant celle de notre salle à manger à nous. J'en suis ému car je ne réalise qu'à l'instant.

Calyste a dit…

Il faudra qu'un jour, Cornus, on écrive sur le rôle des tables, leur importance dans notre enfance! Un bon sujet de billet.

Lancelot a dit…

C'est quoi, des rigottes d'échalas...? du fromage sur clayettes ?

Calyste a dit…

Lancelot: du fromage de vache, pas très gros, à l'extérieur un peu rosé si je me souviens bien, fabriqué dans le village d'Échalas.