jeudi 11 juin 2015

Eugenio

C'est comme ça qu'il s'appelait. Il était espagnol et vivait à Lyon, près de la Place Morand (que les non-lyonnais appellent de son vrai nom : Maréchal Lyautey). Yvon l'avait rencontré avant moi, mais lorsque je fis sa connaissance, j'eus l'heur de lui plaire.

Nous devînmes amants, naturellement, comme si cela allait de soi. Il était très beau et je ne comprenais pas qu'il s'intéresse à moi : grand, athlétique, sec. Une force rassurante. Basque d'origine, il s'était exilé chez nous parce que communiste, et Franco n'aimait pas ça.

J'avais un peu plus de vingt ans. Nous nous sommes vus pendant un an, peut-être deux, avant qu'il ne rentre au pays après la mort du dictateur. Ce n'était pas une histoire d'amour, de grand désir réciproque plutôt, mais cela aurait pu le devenir. Nous étions presque voisins, nous nous voyions régulièrement. Étrangement, je ne me souviens de rien, ni de son adresse, ni de à quoi ressemblait son appartement. Une sensation de plénitude, de grand bonheur physique seulement.

Un seul souvenir précis pourtant. Alors que nous nous promenions un dimanche, Cours de la Liberté, il me dit que l'homme qui marchait sur le trottoir d'en face avec quelques amis était Mikis Theodorakis. Devant mon air dubitatif, il me le présenta : Theodorakis était une des célébrités qui avaient, la veille, animé la fête du parti communiste espagnol à Lyon. Nous allâmes tous ensemble boire une bière dans un café de la Guillotière. J'étais muet de surprise mais partis déçu quand je m'aperçus que tout ce qui intéressait le musicien grec cet après-midi-là, c'était de trouver un cinéma porno.

Quand Eugenio regagna l'Espagne, nous passâmes une dernière soirée ensemble. Il avait au pays une fiancée. Il voulait se marier et avoir des enfants. Le premier, me dit-il, porterait mon prénom. Je ne l'ai jamais revu.

Autant en emporte le vent, mais que cette brise est agréable !

Pourquoi, ce soir,  ce souvenirs me reviennent-ils à l'esprit ?

3 commentaires:

plumequivole a dit…

Parce que les souvenirs sont des choses malpolies (quoique charmantes parfois) et frappent rarement à la porte avant d'entrer !

Cornus a dit…

La ligne droite n'est pas forcément le chemin le plus court pour l'accès aux souvenirs. Et les associations d'idées nécessaires pour y accéder sont bien souvent tortueuses et improbables.

Calyste a dit…

Plume et Cornus : je ne me referai pas, j'aime bien comprendre. Et là, je ne vois pas par quels chemins je suis passé.