Je devais avoir autour de dix ans. Après la mort de ma grand-mère, j'avais rejoint le giron familial, au moment même de la naissance de ma plus jeune sœur. Nous habitions une ferme appartenant aux mines, vaste mais sans confort et, bien sûr, sans salle de bains.
Tout près, un ancien puits de mine, dont une partie était encore en activité. Le reste, crassier, début de galeries, murs en ruines, zones effondrées, constituait notre meilleur terrain de jeux, malgré la dangerosité et l'interdiction familiale. Mais mes parents travaillaient et, après l'école, nous étions à peu près libres comme l'air.
Au bord de la route, à la sortie du village, il y avait trois énormes cuves en métal, hautes de plusieurs dizaines de mètres. Je n'ai jamais su à quoi elles avaient servi, peut-être de système de refroidissement pour les machines. Tout cela a disparu aujourd'hui et quelques villas sont même venues s'installer dans les prés environnants.
Pour nous laver, nous avions l'évier, l'hiver, où mon père avait branché l'eau courante grâce au captage d'un puits. L'été, ma mère remplissait d'eau une grande bassine qu'elle plaçait dans le jardin. Le soir, l'eau était assez tiède pour que nous allions y patauger.
Et puis, un jour, je ne sais pas comment, nous eûmes l'autorisation d'utiliser la douche de la mine. Il fallait demander la clé dans un bureau. En tant qu'aîné, c'est à moi qu'incombait cette tâche. Même si je ne le montrais pas, j'étais terrorisé. Il fallait, pour parvenir au bureau, emprunter une coursive qui longeait une énorme machine, une sorte de compresseur trois fois plus haut que moi et qui vibrait sans cesse dans un bruit assourdissant. Mes muscles se tétanisaient chaque fois que je passais là. Sans doute devais-je aussi retenir ma respiration et accélérer le pas. Même processus au retour, pour rendre la clé.
Ensuite, il fallait descendre au sou-sol où se trouvait la douche. Une seule, au fond d'un couloir obscur et sale. Les murs de cette douche étaient gluants de graisse et, bien souvent, alors que nous avions fini de nous laver, il fallait recommencer, après avoir par mégarde effleuré la paroi. Mais le pire était que la douche se situait exactement sous le compresseur dont je viens de parler. Si l'on en entendait moins le bruit, on en percevait toujours la vibration.
Le manège dura des années, jusqu'à ce que mes parents déménagent et que nous ayons une vraie douche, pour nous tous seuls. Mais encore aujourd'hui, je me souviens de ma terreur, sans doute la plus grande de mon enfance.
samedi 13 juin 2015
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5 commentaires:
et cette machine inspirait la même terreur aux autres enfants?
C'est ainsi qu'on se rend compte des énormes progrès de confort qui ont eu lieu chez les petites gens surtout dans les années 1950-70. Les jeunes qui ont actuellement 20-25 ans n'en ont souvent pas la même conscience, puisque même leurs parents n'ont en principe pas connu la période précédente.
Les choses impressionnent d'autant plus quand on ne connaît ni leur usage ni leur mode de fonctionnement.
Je ne me souviens pas avoir eu de grosse grosse terreur enfantine de ce genre. Ou peut-être y en a t-il une bien enfouie dans le dernier tiroir du bas de ma mémoire, celui dont j'ai égaré la clef ? Tu me donnes envie d'y réfléchir !
Mais contrairement à ce que semble penser Cornus, les terreurs enfantines, les enfants d'aujourd'hui les connaissent aussi, rien à voir avec le mode de vie, elles peuvent naître de choses très anodines. Il suffit d'un escalier un peu sombre, ou d'un objet décoratif banal sur une étagère.
Karagar : notre famille seulement avait le droit d'aller dans cette douche et, dans la fratrie, j'étais le seul à devoir longer cette machine.
Cornus : pour moi, cette machine était vivante, un peu comme dans le roman de Zola, La Bête humaine.
Plume : une des clés de ces tiroirs est pour moi l'écriture. Bien d'accord avec toi pour les frayeurs enfantines contemporaines.
Plume> Mon commentaire n'était pas relatif à la terreur, c'était juste une remarque sur les profondes mutations sur le mode et le confort de vie en une génération à peine.
Personnellement, des vraies terreurs de ce style, je ne pense pas en avoir eues. Et tu as bien raison de dire que bien peu de chose peut perturber gravement les enfants.
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