jeudi 11 septembre 2014

Fiction (5)



- Bonjour.
- Je suis Dorée. Valeria nous avait prévenus de votre arrivée.

Elle semblait maîtriser parfaitement l’usage de la langue française, même si un accent très prononcé trahissait ses origines nordiques.

- Enchanté. Je m’appelle Paul.

Elle continuait à sourire et, même si le soleil me gênait un peu pour la détailler, elle paraissait très belle. Son prénom original, Dorée,  venait-il de sa chevelure abondante où jouait la lumière matinale ? J’avais du mal, d’aussi loin, à lui attribuer un âge. Plus de quarante ans, c’était à peu près sûr.

- Je descends.

Quand elle fut devant moi et me tendit la main, je pus mieux la voir : une femme mince, de taille moyenne, à l’allure sportive d’une marcheuse ou d’une coureuse de fond. A en juger par les pattes d’oie au coin de ses yeux, elle devait plutôt approcher de la cinquantaine, voire la dépasser légèrement. Elle portait une robe d’été à bretelles, laissant à découvert ses épaules bronzées, une robe si légère que la pointe de ses seins faisait saillie sous l’étoffe et que l’on devinait la courbe gracieuse de ses hanches étroites.

- Mon mari dort encore. Il s’appelle Thomas mais nous avons l’habitude de le nommer Tom.  Nous sommes arrivés hier, avant vous et avons profité du beau temps pour faire une grande promenade dans les environs. C’est charmant ici, n’est-ce pas ?
- Je m‘y plaîs déjà malgré l’orage de cette nuit. Vous venez de loin ?
- Des Pays-Bas, région de Arnheim, à l’est du pays.
- Une route encore plus longue que la mienne !
- En fait, nous avons pris l’avion jusqu’à Bologne où nous avons loué la voiture. Et vous, d’où venez-vous ?
- De Lyon. Vous connaissez.
- Nous y sommes passés plusieurs fois pour descendre dans le midi, sans jamais nous y arrêter. Le fameux tunnel de Fourrière !
- Fourvière, le tunnel de Fourvière.
- Excusez-moi, mon français n’est pas impeccable.
- Vous vous débrouillez très bien, au contraire. Vous n’avez pas été gênés par l’orage ?
- Oh non ! Nous étions si fatigués de notre balade que nous n’avons rien entendu. Nous sommes montés à pied jusqu'au village, là-haut, dont on aperçoit d'ici le clocher. C’est ce matin, en voyant les chaises mouillées … Tiens, voilà Tom. Tom ! Notre voisin français est arrivé. Tu viens le saluer.

Tom semblait encore bien endormi et s’étira longuement avant de descendre l’escalier d’un pas hésitant. 

- Hello ! Je m’appelle Thomas mais…
- Je lui ai déjà expliqué, l’interrompit Dorée d’un ton plus sec qu’il n’était nécessaire. 

Lui, qui semblait n’avoir rien remarqué, me tendit la main à son tour et, en la secouant énergiquement, la garda si longtemps dans la sienne que je me demandai quand il allait se décider à la lâcher. Il faut dire qu’il avait une carrure d’athlète : un géant qui me dépassait d’une bonne tête (il devait frôler les deux mètres), aux épaules massives, aux mains puissantes, les cheveux ras, les yeux bleus. J’avais devant moins un de ces hommes filmés autrefois par Leni Riefenstahl pour glorifier la jeunesse du régime nazi. Il semblait beaucoup plus jeune que sa femme, d’une bonne dizaine d’années et lorsqu’il souriait, il avait l’air d’un grand enfant. 

La conversation se poursuivit un instant, sans autre intérêt que de faire connaissance. J’étais heureux d’avoir des voisins sympathiques mais ne comptais guère approfondir la relation, plus soucieux de privilégier ma liberté et mon indépendance. J’étais venu seul en Toscane, après la défection de mes amis lyonnais, pour retrouver les sites visités jadis, les émotions ressenties, à la fois une retraite et une sorte de pèlerinage et je n’avais pas l’intention d’y lier amitié avec qui que ce soit. J’avais même, au cas où, emporté avec moi, dans une poche de ma valise, quelques feuilles blanches et deux ou trois stylos pour prendre quelques notes destinées à mon blog et, si l’inspiration et l’envie, ou l’ennui, me prenaient, me lancer dans un récit de fiction.

En rentrant dans la maison, je compris enfin ce qui, depuis un moment, me tournait dans la tête sans que je parvienne à l’éclaircir, trop occupé à faire bonne figure à de si charmants voisins. Quelque chose auquel je n’avais cessé de penser en regardant Thomas, au point même de le faire répéter ce qu’il venait de dire et que je n’avais pas écouté.

Heureusement, Tom ne s’était rendu compte de rien, pensant que la mauvaise qualité de son français, pourtant tout aussi bon que celui de sa femme, était seule en cause. C’est en regardant les livres du salon que la lumière se fit. J’avais cru voir un athlète de Leni Riefenstahl, mais mon cerveau n’avait pas correctement décrypté le message de mes sens. Leni oui, mais pas Riefenstahl. Un autre Lennie, celui des Souris et des Hommes.


5 commentaires:

plumequivole a dit…

Ça sent le drame !

Cornus a dit…

L'épisode part joyeusement, insoucieusement et le ciel se couvre. Le coup de tonnerre est imminent.

Calyste a dit…

Plume : sans doute, mais lequel. Si je le savais... Je commence à en avoir une petite idée, cependant.

Cornus : une véritable "Madame Soleil" !

karagar a dit…

Intrusion inattendue de Steinbeck... qui n'augure rien de bon.

Calyste a dit…

Karagar : en effet (je commence à y voir un peu plus clair dans ce que je veux écrire).