- Bonjour.
- Je suis Dorée. Valeria nous avait prévenus de votre
arrivée.
Elle semblait maîtriser parfaitement l’usage de la langue
française, même si un accent très prononcé trahissait ses origines nordiques.
- Enchanté. Je m’appelle Paul.
Elle continuait à sourire et, même si le soleil me gênait un
peu pour la détailler, elle paraissait très belle. Son prénom original,
Dorée, venait-il de sa chevelure
abondante où jouait la lumière matinale ? J’avais du mal, d’aussi loin, à
lui attribuer un âge. Plus de quarante ans, c’était à peu près sûr.
- Je descends.
Quand elle fut devant moi et me tendit la main, je pus mieux
la voir : une femme mince, de taille moyenne, à l’allure sportive d’une marcheuse
ou d’une coureuse de fond. A en juger par les pattes d’oie au coin de ses yeux,
elle devait plutôt approcher de la cinquantaine, voire la dépasser légèrement. Elle
portait une robe d’été à bretelles, laissant à découvert ses épaules bronzées,
une robe si légère que la pointe de ses seins faisait saillie sous l’étoffe et
que l’on devinait la courbe gracieuse de ses hanches étroites.
- Mon mari dort encore. Il s’appelle Thomas mais nous avons
l’habitude de le nommer Tom. Nous sommes arrivés hier, avant
vous et avons profité du beau temps pour faire une grande promenade dans les
environs. C’est charmant ici, n’est-ce pas ?
- Je m‘y plaîs déjà malgré l’orage de cette nuit. Vous venez
de loin ?
- Des Pays-Bas, région de Arnheim, à l’est du pays.
- Une route encore plus longue que la mienne !
- En fait, nous avons pris l’avion jusqu’à Bologne où nous
avons loué la voiture. Et vous, d’où venez-vous ?
- De Lyon. Vous connaissez.
- Nous y sommes passés plusieurs fois pour descendre dans le
midi, sans jamais nous y arrêter. Le fameux tunnel de Fourrière !
- Fourvière, le tunnel de Fourvière.
- Excusez-moi, mon français n’est pas impeccable.
- Vous vous débrouillez très bien, au contraire. Vous n’avez
pas été gênés par l’orage ?
- Oh non ! Nous étions si fatigués de notre balade que
nous n’avons rien entendu. Nous sommes montés à pied jusqu'au village, là-haut, dont on aperçoit d'ici le clocher. C’est ce matin, en voyant les chaises mouillées … Tiens,
voilà Tom. Tom ! Notre voisin français est arrivé. Tu viens le saluer.
Tom semblait encore bien endormi et s’étira longuement avant
de descendre l’escalier d’un pas hésitant.
- Hello ! Je m’appelle Thomas mais…
- Je lui ai déjà expliqué, l’interrompit Dorée d’un ton plus
sec qu’il n’était nécessaire.
Lui, qui semblait n’avoir rien remarqué, me tendit la main à
son tour et, en la secouant énergiquement, la garda si longtemps dans la sienne
que je me demandai quand il allait se décider à la lâcher. Il faut dire qu’il avait
une carrure d’athlète : un géant qui me dépassait d’une bonne tête (il
devait frôler les deux mètres), aux épaules massives, aux mains puissantes, les
cheveux ras, les yeux bleus. J’avais devant moins un de ces hommes filmés
autrefois par Leni Riefenstahl pour glorifier la jeunesse du
régime nazi. Il semblait beaucoup plus jeune que sa femme, d’une bonne dizaine
d’années et lorsqu’il souriait, il avait l’air d’un grand enfant.
La conversation se poursuivit un instant, sans
autre intérêt que de faire connaissance. J’étais heureux d’avoir des voisins
sympathiques mais ne comptais guère approfondir la relation, plus soucieux de
privilégier ma liberté et mon indépendance. J’étais venu seul en Toscane, après
la défection de mes amis lyonnais, pour retrouver les sites visités jadis, les
émotions ressenties, à la fois une retraite et une sorte de pèlerinage et je n’avais
pas l’intention d’y lier amitié avec qui que ce soit. J’avais même, au cas où,
emporté avec moi, dans une poche de ma valise, quelques feuilles blanches et
deux ou trois stylos pour prendre quelques notes destinées à mon blog et, si l’inspiration
et l’envie, ou l’ennui, me prenaient, me lancer dans un récit de fiction.
En rentrant dans la maison, je compris enfin
ce qui, depuis un moment, me tournait dans la tête sans que je parvienne à l’éclaircir,
trop occupé à faire bonne figure à de si charmants voisins. Quelque chose auquel
je n’avais cessé de penser en regardant Thomas, au point même de le faire répéter
ce qu’il venait de dire et que je n’avais pas écouté.
Heureusement, Tom ne s’était
rendu compte de rien, pensant que la mauvaise qualité de son français, pourtant
tout aussi bon que celui de sa femme, était seule en cause. C’est en regardant
les livres du salon que la lumière se fit. J’avais cru voir un athlète de Leni
Riefenstahl, mais mon cerveau n’avait pas correctement décrypté le message de
mes sens. Leni oui, mais pas Riefenstahl. Un autre Lennie, celui des Souris et
des Hommes.
5 commentaires:
Ça sent le drame !
L'épisode part joyeusement, insoucieusement et le ciel se couvre. Le coup de tonnerre est imminent.
Plume : sans doute, mais lequel. Si je le savais... Je commence à en avoir une petite idée, cependant.
Cornus : une véritable "Madame Soleil" !
Intrusion inattendue de Steinbeck... qui n'augure rien de bon.
Karagar : en effet (je commence à y voir un peu plus clair dans ce que je veux écrire).
Enregistrer un commentaire