lundi 4 juillet 2011

La Sorcière

Au moment du déjeuner, aujourd'hui, j'ai entendu par hasard la plus grande partie d'une émission de France Inter passant après le journal de treize heures et qui s'intitule, je crois, Deux mille ans d'Histoire: une rediffusion du mois d'avril consacrée à Jules Michelet. Passionnant d'un bout à l'autre. Outre le fait que j'ai appris sur lui beaucoup de choses que je ne connaissais pas; j'ai eu un plaisir immense à réentendre parler d'un livre qui a marqué mon début d'âge adulte: La Sorcière.

Acheté par hasard, ce texte assez court m'avait fasciné à l'époque car il donnait de ces femmes honnies au point d'être brûlées au Moyen-Age une vision totalement novatrice. Voici ce qu'en dit Yves Reboul, dans une analyse d'un poème de Rimbaud, Les Mains de Marie-Jeanne (1872), hymne aux femmes de la Commune:
"Que ce livre ait été une des lectures de Rimbaud, écrit Yves Reboul, je ne crois pas qu'on puisse sérieusement en douter [...]. On comprend ce qui a dû le fasciner dans ce livre, alors vieux de moins de dix ans : à travers cette figure de la sorcière, Michelet faisait le procès du christianisme, traitait à sa manière de "l'infini servage de la femme", se faisait le héraut d'une philosophie naturaliste proche de celle qu'exalte, par exemple, Soleil et Chair. La Sorcière devait donc être à ses yeux un livre de défi et de libération − sans compter que l'auteur avait été persécuté par l'Empire. Or la belladone y joue un grand rôle et surtout (ce qui est décisif) un rôle qui prête aisément à la transposition allégorique. On l'y rencontre en effet dès les premières pages et le mot y prend immédiatement sous la plume de Michelet un sens qui pourrait être la clé de sa présence dans Les Mains de Jeanne-Marie [celui de] cette plante qui permet à la sorcière de se faire la guérisseuse des "fléaux" du monde ; elle est donc une des consolantes, un poison salutaire au fond, mais devant lequel reculent l'ignorance et la superstition. Or tout dans ces représentations pouvait s'appliquer à la Commune − et donc à Marie-Jeanne qui en est la figure emblématique [...] Dans la logique du portrait que fait Michelet de la sorcière, c'est bien la Communeuse, figure métonymique de Paris insurgé, qui est la sorcière moderne puisque, comme son modèle, elle incarne la subversion de l'esprit chrétien et aussi la lutte contre l'infinie oppression de la Femme, à laquelle la Commune avait prétendu apporter la libération. On comprend donc le sang noir des belladones dans les paumes de Jeanne-Marie : ce sang de la plante consolante, c'est métaphoriquement le poison guérisseur de l'esprit de subversion, l'idée d'un renversement total du vieux monde, qu'avait laissé entrevoir l'insurrection parisienne" (Yves Reboul, "Jeanne-Marie la sorcière", Rimbaud 1891-1991.Champion, 1994, p.49).
Au-delà de cette tentative d'explication d'une strophe un peu hermétique d'un poème de Rimbaud, j'y ai, pour ma part, vu d'une part une réhabilitation de la femme-sorcière en tant que moteur du progrès de l'humanité face à l'immobilisme de l'église, d'autre part un hymne merveilleusement écrit, dans une langue française splendide, à l'émancipation de la femme.
Je crois qu'il est urgent de redécouvrir ce texte aujourd'hui! Comme quoi les rediffusions estivales ont parfois du bon!

11 commentaires:

Christine a dit…

C'est un livre dont j'ai toujours entendu le plus grand bien mais que je n'ai jamais pris le temps de lire: des réticences, sans doute, bien stupides à lire ton billet !
Et si la langue est splendide, en plus!

Calyste a dit…

Christine; lis-le, crois-moi, il n'y a aucune réticence à avoir. Je dois en plus avouer que c'est le seul ouvrage de Michelet que j'ai lu.

Valérie de Haute Savoie a dit…

Par le plus grand des hasards, j'étais en voiture pour aller vérifier des travaux dans un appartement, et j'ai également entendu l'émission dont le générique me met toujours une patate d'enfer. Je vais lire ce livre, non seulement en raison de l'émission, mais aussi puisque tu en parles et que j'ai une grande confiance dans ton avis.

Christine a dit…

Calyste,
C'est entendu; je vais l'ajouter à mes lectures de cet été...

Je voulais te signaler que sur tous tes billets, tu ne te sers jamais sur le traitement word de la "justification" pour aligner tes mots à droite du texte. C'est un détail mais il n'empêche que pour l'oeil, c'est plus reposant. Et en plusssssse, c'est plussssse beau!

Calyste a dit…

Valérie: attention, nous pouvons avoir des goûts différents. Je m'en voudrais de t'avoir conseillé un livre qui ne te plaise pas.

Christine: je viens de découvrir le truc grâce à toi. je vais essayer dès ce soir. Il est vrai que ça fera plus net!

Cornus a dit…

Juste pour dire que le nom de l'émission a changé depuis la rentrée de septembre 2010. Il s'agit à présent de "La marche de l'histoire". Sur la forme, je préfèrais globalement l'ancienne et son animateur, ce qui ne retire rien à l'intérêt des sujets traités.

Calyste a dit…

Cornus: c'est exact, Cornus, je l'avais oublié.

karagar a dit…

"le poison guérisseur de l'esprit de subversion" quelle joilie alliance de mots.
Sinon, n'oublions pas que la grande période de bûchers de sorcières est post médiévale !

Calyste a dit…

Karagar: moins par moins, ça fait plus, si je me souviens bien.

Georges a dit…

Je ne l'ai pas trouvé aujourd'hui à la bibliothèque...

Calyste a dit…

Georges: impossible de le retrouver dans la mienne. Il n'est pas où il devrait être, sinon je t'aurais donner les références en poche. Mais peut-être est-il épuisé et non réédité, je ne sais pas.