vendredi 29 juillet 2011

Fêlure

Il était une fois un petit garçon qui se croyait laid. Il l'avait dit à sa mère qui s'était contentée de sourire, sans répondre. Particulièrement son regard, qu'il jugeait triste, et ses jambes, un peu tordues et qu'il aurait aimées comme celles de son père, plus classiques, plus viriles. Et puis ses cheveux, à la limite du crépu. Ah! Avoir une mèche sur le front, qui bouge lorsque l'on donne un coup de tête. Être dépeigné, rien qu'une fois!

Le silence de sa mère avait fait qu'il avait toujours cherché à être aimé, par n'importe quel moyen, même trivialement. Accumuler les conquêtes, c'est tellement simple, quand, comme lui, on s'y est pris jeune. Ça l'avait rassuré un temps, le temps de l'adolescence sans doute, et du début de l'âge adulte, où il masquait si bien son manque de confiance en lui. Combien de mecs dans des lits de rencontre? Combien de liaisons sans lendemain, et qui n'en méritaient pas? Combien de "A bientôt" et de "On se reverra" qu'il n'avait pas honoré? Jusqu'au début de ces années soixante-dix où le suicide de son ami d'enfance l'avait éloigné du même geste contre lui.

Et puis, il avait toujours eu de la chance. Au fond du trou, toujours trouvé à rebondir, par lui-même ou par les autres. Il était devenu prof alors qu'il n'aurait jamais dû l'être, il avait rencontré la musique, et les gens, des gens qui l'ont accompagné longtemps avant de disparaître au fond d'un trou creusé dans la terre meuble, des gens qui l'ont aimé, qui lui ont fait partager leur vie. Le petit soldat, le chien efflanqué a cru, ces années-là qu'il était sauvé, qu'il valait quelque chose, qu'on s'intéressait à ce qu'il disait, à ce qu'il était.

Mais au fond de lui, le solitaire était resté le même, avec ses mêmes questions sans réponses et dont il a peu à peu compris qu'il n'en aurait jamais. Et c'est aussi bien comme ça. Sa fêlure, il l'aime, parce qu'elle lui a évité souvent de sombrer. Sa force, il la lui doit, comme à son enracinement dans la terre noire de la mine, comme aux châtaigniers où il était incapable de monter. Il lui doit sa rage de dire "J'y arriverai" et sa volonté de rebondir s'il n'y arrive pas. Il l'aime sa fêlure. C'est son souffle. Sans elle, il y a longtemps qu'il serait crevé.

6 commentaires:

laplumequivole a dit…

Ah que d'échos, que d'échos !

Calyste a dit…

La Plume: Deux fois "que d'échos!"? Ça résonne, alors?!

Cornus a dit…

Cet "il", il mériterait d'être connu.

Calyste a dit…

Cornus: dès que l'occasion se présente, je l'espère bien.

Lancelot a dit…

"Le petit soldat" : tu n'as jamais expliqué pourquoi le Monsieur t'avait surnommé ainsi, au fait ? :)

Calyste a dit…

Lancelot: je te le dirais en direct, si tu veux bien. Trop personnel!