Missoula, Montana. Voilà deux noms qui, irrésistiblement, évoquent les romans de Wallace Stegner. Pourtant ici, rien à voir. L'auteur de Indian Creek, Pete Fromm, est sensiblement plus jeune puisque né en 1958 et n'a de commun avec son illustre compatriote que le plaisir que j'ai éprouvé à lire son roman.
Bien sûr, il faut aimer, comme moi, partir dans le sillage du Kon Tiki ou, plus justement ici, partager les découvertes d'un Robinson sur son île déserte. D'ailleurs, comme les deux ouvrages précédemment cités, le livre de Fromm s'appuie sur une histoire réelle, une expérience de sa propre vie: alors qu'il était encore tout jeune adulte, il parvient à se faire embaucher pour passer six mois, les plus durs, d'automne et d'hiver, dans un isolement presque complet entre Idaho et Montana, avec pour tâche unique de surveiller le bassin où sont élevés des milliers de saumons destinés à être réintroduits ensuite dans les rivière de ces montagnes. Si les premiers temps sont difficiles, pour le climat comme pour la solitude ou les nouvelles pratiques de vie, Fromm ensuite s'intègre tellement aux paysages grandioses et isolés qui l'entourent qu'il a du mal à réintégrer le monde civilisé à la fin de sa période d'embauche.
C'est un livre splendide, qui n'est rien moins que ce qu'en dit une journaliste de Lire, en quatrième de couverture: "Une œuvre d'apprentissage d'une drôlerie irrésistible et d'un réalisme cruel." On sent,à chaque ligne, à chaque mot, l'attachement de cet homme à ces montagnes et ces rivières, même si elles le forcent effectivement à mener une vie très dure, voire dangereuse, à ces animaux, ours, puma, lynx ou grouse, même s'il les tue parfois, par plaisir ou pour se nourrir. On sent quelle a été la profondeur de cette expérience et combien l'homme qui, au printemps, rejoint la ville, n'est plus le même que celui qui s'était lancé dans cette expérience un peu par défi. Un magnifique hymne à la nature qui parfois ramène sans le vouloir aux expériences mystiques des ermites dans leur retraite.
(L'extrait suivant se situe juste après une éclipse)
Je me retournai pour regarder le soleil comme la lune se déplaçait vers le côté, et le jour se fit. La neige reprit sa couleur blanche habituelle, le bleu disparaissant sous la surface où on le distinguait à peine. Le soleil retrouva son apparence et toute trace de lune disparut. Un premier oiseau gazouilla, et d'autres suivirent son exemple avec prudence.
De mon côté, parcouru de frissons, je continuai à tourner en tous sens sur mon étroit promontoire, essayant de voir ce qui n'était plus visible, ce que je n'avais pas eu le temps d'admirer suffisamment en l'espace de deux minutes - je voulais m'imprégner de tout ce que je voyais depuis des mois, comme si cette aube nouvelle avait recelé davantage que de simples montagnes.
(...) Plus tard dans la journée, il se mit à pleuvoir, et je m'efforçai de rester occupé à l'intérieur de la tente. Mais je pensais sans cesse à mon sommet. En fin d'après-midi, j'y remontai en dérapant car la pluie avait fait fondre mes prises. Une fois là-haut, j'admirai le défilé et le reste du monde autour de moi. J'essayai de plisser les yeux pour mieux me remémorer les changements observés plus tôt. Mais cette lumière si particulière était pour toujours envolée. Et déjà je me mettais à douter de la réalité de la neige bleutée ou de l'embrasement du ciel. Pourtant, même sans en retrouver les images exactes, je souris en sachant que tout cela était réel, un spectacle unique dont j'avais été le seul spectateur.
( Ed. Gallmeister. Trad. de Denis Lagae-Devoldère.)
samedi 21 août 2010
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4 commentaires:
Alors là, Wallace Stegner, une fois de plus je constate que nous avons des goûts communs et pourtant que de différences dans nos vies. Mais n'est-ce pas là toute la magie d'internet !
Je ne sais pas, Nanouche: je n'ai aucun point de comparaison! Même en cliquant sur votre nom, je ne tombe, me semble-t-il, sur aucun texte de votre main! Expliquez-moi par mail, si bien sûr vous le voulez bien! Mon adresse est dans mon profil.
C'est marrant : je viens de lire (ben oui, je ne l'avais jamais fait avant) Robinson Crusoe, retrouvé chez mes parents.
Ah, le plaisir de contempler seul un spectacle grandiose. Et le plaisir, encore plus rare, de se dire qu'on aura été le seul à le voir....
Je n'ai moi non plus jamais lu la version d'origine. En revanche, j'avais adorer celles de Tournier (adultes et enfants).
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