Nicolas, il y a longtemps m'avait parlé de ce roman de Hubert Mingarelli. Je l'avais oublié et il m'en reparla lors de notre dernière soirée au restaurant. Ce livre semblait lui avoir beaucoup plus, davantage même, l'avoir marqué. Je l'ai lu en un peu plus d'une journée. Roman limpide et simple, l'histoire d'un éleveur de moutons contraint, avec son jeune garçon de ferme, un presque enfant encore, à prendre la route du col un soir de grosses chutes de neige pour aller livrer une douzaine de bêtes de l'autre côté de la montagne à leur nouveau propriétaire à qui il vient de les vendre.
Roman lent, ce voyage de deux personnages dans la solitude quasi totale pourrait parfois faire songer à La Route, mais ce n'est pas ça. On est, et je vais encore une fois faire référence au même roman (mais c'est parce que pour moi, il est une référence) plus près des Souris et des Hommes pour la simplicité apparente des personnages que la pureté quasi naïve des dialogues traduit bien. Il y a du behaviorisme dans ce roman. Qui sont réellement ces gens, on n'en sait rien, ils n'existent que dans l'intervalle d'une nuit dans un camion sur une route de montagne. Comme dans le roman de Steinbeck, les règles classiques de la tragédie sont respectées et l'on est presque déçu, en refermant le livre, de n'avoir pas assisté à quelque drame inévitable? Non, ici, nous sommes dans une vie plate, banale, où les seuls reliefs, douces collines ou pentes plus abruptes, sont formés des sentiments des hommes. Il faut lire ce livre, grand par sa simplicité.
Vito ouvrit les yeux. Il vit la main d'Horacio sur le levier de vitesse, le haut du volant et l'éclat du soleil sur le pare-brise. Il se redressa et regarda par la vitre de la portière. La plaine avait changé. Il y avait des arbres et des clôtures barbelées, et les reliefs étaient plus marqués. Par endroits, la neige avait fondu, surtout au pied des arbres.
- J'ai dormi longtemps?
- Presque une heure.
- J'ai encore parlé?
- Oui.
- J'aime pas ça.
- Je sais, mais ne t'en fais pas, j'ai encore rien compris.
- Pas un seul mot?
- Non.
- Ça me plairait pas, vous comprenez?
Horacio fit oui de la tête assez solennellement.
- Bien sûr, dit-il ensuite. personne n'aimerait ça.
Puis il ajouta:
- Tu as seulement l'air en colère des fois.
- En colère?
- Oui.
(...)
- Même un seul mot, ça me gênerait, dit Vito sans quitter le paysage des yeux.
- Qu'est-ce que tu dis? demanda Horacio.
- Quand je dors, dit Vito. Ce que je raconte quand je dors. Ça me gênerait que vous compreniez un seul mot.
Horacio baissa sa vitre et dit:
-Regarde une bonne fois ce que je fais!Regarde bien alors!
Il cracha dehors de toutes ses forces. Il dit en remontant la vitre:
- Je te promets que j'ai jamais compris un seul mot de ce que tu racontes quand tu dors.
(...)
- Je vous crois, dit Vito.
Il se tourna vers la droite et recommença à surveiller le paysage.
(Hubert Mingarelli, La Beauté des loutres, Ed. du Seuil).
lundi 30 août 2010
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4 commentaires:
Depuis que je te lis, je me suis aperçu qu'en matière de cinéma et de littérature, tu es très amateur de simplicité, de rapports humains plus esquissés par des regards qu'expliqués par des dialogues, de grands espaces sauvages et déserts, etc. Dans ces conditions, je comprends que tu aies aimé 'Des Souris et des Hommes'. Même en l'ayant adoré (évidemment), ce n'est pas l'oeuvre de Steinbeck que je préfère, et ce qui est amusant, c'est que c'est justement par rapport à sa simplicité, que je trouve un peu trop 'sèche', en définitive. Mais c'est voulu. Et l'impact du roman ne dépend, finalement, que de la personnalité du lecteur.
Je crois qu'effectivement, il y a en moi un chartreux qui sommeille, ou un Lucky Luck, au choix!
Moi aussi n'aime bien les histoires simples...et si y'a que des images c'est encore mieux!
Hein, M'sieur Lancelot, ça veut dire quoi "urg" en anglais?
Mais enfin, Piergil, comment faut-il te le dire? Tu confonds les loutres et les phoques!:-)
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