Parfois, il me vient de ces découragements! Une sorte de poids sur les épaules qui alourdit tout le corps et le rend monolithe, le pétrifie sans en enlever la conscience. Ainsi ce matin, avec mes cinquièmes, pourtant tout gentils, tout attentifs (ou endormis?), tout frais du repos dominical.
Nous sommes en train de lire quelques textes concernant les récits de voyages, grandes découvertes et explorations. Nous naviguons de Marco Polo à Hernan Cortès, de Christophe Colomb à James Cook, de Jean de Léry à Louis-Antoine de Bougainville, passant hardiment du XIII° au XIX° siècle, foulant des terres aussi éloignées les unes des autres que les Bahamas de Tahiti, la Chine du Brésil, le Cap de Bonne Espérance du Mexique.
"Eh quoi? me disais-je tout en parlant! (Oui, un enseignant possède ce don-là de dédoublement, voire davantage si les circonstances l'exigent.) Qu'est-ce que tous ces noms peuvent bien évoquer pour eux. Certains, les plus cultivés, arrivent à situer deux ou trois pays sur la carte du monde. Pour les autres, cela reste assez brumeux. XIX° ou XIII° siècle, font-ils vraiment la différence? Ils sont nés en 1998 et croient que le monde est né avec eux, ou que rien de valable n'existait avant eux. Alors, ils n'en sont pas à un siècle près. D'ailleurs ont-ils une conscience, même approximative, de la chronologie? Cette sorte de quasi vieillard qui leur parle, assis derrière son bureau (on a constaté que, depuis quelque temps, il boîte un peu), qu'a-t-il à leur apporter dont ils puissent avoir l'immédiate jouissance?"
Ce matin, précisément, nous lisions et commentions un texte de Jean de Léry, extrait de son Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil, parue en 1578 et racontant son périple de 1556. L'auteur essaie de décrire le fruit qu'il vient de découvrir dans ce pays d'Amérique du sud et qui, visiblement, le remplit d'émerveillement (Marco Polo en aurait dit que c'était une "grandissime merveille"): l'ananas. Il parle de sa forme, de son apparence et tente de donner une idée de son goût au lecteur. Pour cela, bien sûr, il utilise de nombreuses comparaisons avec des fruits ou des végétaux européens bien connus. Ainsi, le glaïeul, l'aloès, le chardon, le melon et la pomme de pin pour la forme de la plante et du fruit. Alors, il faut bien sûr que j'explique, moi, ce qu'est l'aloès et même le glaïeul à ces citadins qui marchent le nez sur leur portable.
De tout cela, ils se moquent bien: un ananas, c'est un ananas, point final. Peut-être retiendront-ils que son conditionnement en boîte métallique et en tranches n'est pas son apparence initiale, et je devrais m'en montrer satisfait. Mais franchement, le plaisir de la découverte, l'excitation d'être le premier à goûter à un fruit nouveau, à en parler, la joie de faire partager son ressenti, je crois bien qu'ils n'en ont rien à faire. Quant aux noms barbares de ces contrées lointaines et sauvages, ils n'ont pour eux aucun pouvoir d'évocation poétique: une simple occasion supplémentaire de buter dans la lecture à voix haute.
J'en étais là de mes pensées chagrines ce matin lorsqu'un élève leva la main et me fit remarquer que l'on pouvait deviner que ce texte était assez ancien (mais moins tout de même que celui de Marco Polo) grâce à une tournure de phrase qui lui semblait vieillie: "Leur goût fondant dans la bouche est naturellement si doux qu'il n'y a confiture de ce pays qui les surpasse". Une autre, s'enhardissant, nous confia que l'an dernier, elle avait fait un voyage en Martinique et avait visité une plantation d'ananas. A ce moment-là (mais je me trompe peut-être), le ciel s'éclaircit et un frêle rayon de soleil perça la grisaille matinale et pénétra dans la classe.
Je fis alors comme faisait Hugo: " je reprenais, la tête un peu moins lasse,
Mon œuvre interrompue" (Elle avait pris ce pli, Les Contemplations)!!!! Comme il en faut peu pour retrouver la foi.
lundi 31 mai 2010
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10 commentaires:
"Leur goût fondant dans la bouche est naturellement si doux... "
Peut être fallait-il que le texte évoque plutôt le goût de la banane pour qu'ils sussent mieux l'apprécier...
( euuh ..m'en vais p'tête aller réviser mes conjugaisons quand même!)
Piergil ta vidéo est superbe !
...mais ton commentaire est nul!!
Hé ho hé ho, j'ai rien dit, moi !!!!!!!
Nan, Maîtresse, pas la féssée!!!
Oui, très belle vidéo, Piergil. Mais c'est pas beau de prendre l'identité des autres!!! Si, si, la fessée!
Beau texte et je confirme, ça en prend peu pour prendre espoir. Et comme un étudiant qui s'exprime le fait souvent pour dix autres qui sont trop gênés tout n'est pas perdu.
Merci, Magoua. Alors deux, ça fait une bonne partie de la classe!
l'ananas, l'ananas... et le mec alors.....?
(ça va ça va... je sors :) )
Hum! C'est la première chaleur qui te met dans cet état?
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