mercredi 5 mai 2010

Date de péremption

Tout à l'heure, en cherchant dans le placard de la cuisine ce que j'allais bien pouvoir manger ce soir en accompagnement de l'éternelle salade verte, je suis tombé sur un plat cuisiné à faire réchauffer au micro ondes pendant trois minutes à température maximum. L'idéal pour les retours tardifs de conseils de classe, quand on a faim mais la flemme de se préparer quelque chose de plus élaboré. Il s'agissait d'un "lapin aux deux moutardes et son riz", que je n'ai finalement pas ouvert.

Outre l'appellation toujours un peu pompeuse et drôle à la fois (le "son" retrouvé là comme à la carte des grands restaurants m'a toujours fait sourire), j'ai pris le temps de lire la date de péremption: le 14 janvier 2011. Rien à craindre donc. Ou plutôt tout. Je me suis tout à coup demandé ce que je ferai le 14 janvier 2011. Je ne peux bien sûr pas le savoir. Serai-je encore en vie? Et les gens qui m'entourent? Ma famille? Mes amis? Combien auront disparu, morts ou en allés, y compris parmi ceux pour qui je ne m'y attends pas?

Ce sera le milieu de l'hiver. Si les petites cellules de ma prostate se tiennent tranquilles, je serai encore au travail, à débuter un second trimestre, après des vacances d'hiver à peine reposantes. La contrainte des cadeaux sera passée. Content ou moins enthousiaste, tout le monde aura été servi. Comme d'habitude, je me dirai que j'ai encore le temps de répondre aux quelques cartes de vœux qui me parviennent parfois par la poste. Il fera froid et gris ou bien froid et limpide, avec une lumière magnifique sur la ville. Je serai heureux ou triste, fatigué ou souriant, j'aurai le temps de prendre quelques photos de la ville que j'aime ou pas, j'aurai repris la course à pieds ou bien j'hésiterai encore à cause du dos et de ce fichu disque qui ne veut plus se faire oublier. Tout est possible ou bien il n'y aura rien, qu'un drap sur le visage et de la terre gelée sur tout le corps.

Si j'inverse le raisonnement, je ne suis pas plus avancé: nous sommes le 5 mai 2010. Il est probable que, il y a quelques mois, j'ai manipulé un produit, j'ai mangé de la nourriture qui aurait sans cela fini son temps de fraîcheur aujourd'hui. C'est même presque certain. Est-ce que je m'en souviens? Aucunement. Ce n'était pas important, je n'y ai pas pris garde. Et pourtant j'y pense aujourd'hui, parce qu'aujourd'hui est présent pour moi et qu'à l'époque, cette date n'aurait représenté qu'un avenir encore lointain et totalement incertain.

Je sais que ces réflexions ont un côté un peu "décalé", que certains se diront qu'il ne faut rien avoir à faire pour penser de telles choses, que la vie, c'est plus important qu'un produit tout prêt à être ingéré, quelle que soit sa date de péremption. Mais je dis simplement ce que j'ai pensé en voyant cette conserve. Alors quoi? L'avenir et le passé ne sont pas plus sûrs l'un que l'autre, et finalement n'ont pas plus d'importance? Carpe diem? C'est la seule philosophie acceptable pour tenter de se préserver un semblant de bonheur ou, pour ne pas employer de grands mots, de bien-être? J'ai encore du mal à m'en persuader.

8 commentaires:

Olivier Autissier a dit…

C'est une occupation que j'adorerais avoir :)

Calyste a dit…

Laquelle exactement, Olivier?

Après le bonnet de bain, la coiffe! Mais c'est qu'on insiste, Dame K.!

Lancelot a dit…

Mais ce que je n'ai pas bien compris, en définitive, c'est : le plat surgelé, c'était un lapin ou une carpe.....?

La Discrète a dit…

Moi j'aime beaucoup ce genre de questionnement !

Olivier Autissier a dit…

Celle d'avoir des réflexions décalées.

Calyste a dit…

Lancelot, je vais te faire une confidence: depuis quelque temps déjà, on les a mariés.

Ça ne m'étonne pas de vous, Discrète!

Olivier, tu viens de me remettre en mémoire, par ta réponse, un vieux roman de Christiane Rochefort, "Printemps au parking", je crois, où un adolescent quitte sa famille parce que son père lui demande de se décaler pour voir la télé. Il a joué un grand rôle dans ma vie, ce roman, de même que l'homme qui me l'avait conseillé. Décidément, il faudra vraiment que je reprenne ma série: "Les Hommes de ma vie"!

Cornus a dit…

Mon commentaire de l'autre jour est passé aux oubliettes suite à un dysfonctionnement.
J'y disais en gros que depuis que je travaille sur la problématique des changements climatiques, il est souvent question de prévisions aux échéances 2050 et 2100. Et sans y penser, je crois que bien sûr que je serai là pour vérifier les prévisions. Ça peut encore le faire pour 2050, mais alors 2100, ça craint !
Sinon, je ne souhaite pas trop pour moi même, repousser trop les choses que je devrais faire avant de mourir, mais frachement je n'y pense pas pour moi, mais plutôt pour les autres.
Et tu as intérêt à être encore là le 15 janvier 2011, c'est une obligation contracturelle ;-)

Calyste a dit…

Mais, j'espère bien être encore là à cette date, Cornus, obligation contractuelle ou pas!