dimanche 9 mai 2010

Villa triste

Caluire hier soir. Temps grisâtre, il pleut et il ne pleut pas, il fait froid et il ne fait pas froid. On se gare sur le parking d'un supermarché: pas de places ailleurs. La villa des années trente, en hauteur, aspect délabré du crépit, bout de jardin minable devant, avec implant d'un panneau publicitaire (est-ce que ça rapporte?). Je pense à Jean Moulin. Ils vont apparaître, c'est sûr, ceux qui ont trahi, derrière le maigre lilas ou sortant du garage dont la porte refaite est le seul élément neuf de toute la façade.

Il faut contourner, ce côté est réservé à l'entrée des colocataires occupant les deux étages. Le maître des lieux habite en bas. Derrière, le jardin est plus grand. Au milieu, une piscine, remplie d'eau verte et de feuilles. Reste des tortures d'autrefois? Un appentis où l'on a installé tant bien que mal (plutôt mal) un barbecue. Nous ne mangerons pas dehors, c'est trop incertain. Le vieux grigou nous accueille et tient à nous montrer l'étendue de son domaine et ses deux arbres à kiwis, l'un mâle l'autre femelle comme il ne manque pas de préciser (délicatesse?). Il porte un pull-over à bandes de couleurs, la seul chose qui aurait pu être gaie si les couleurs n'étaient passées depuis de nombreux lavages. De profil, il ressemble au Père Grandet. Habillons-le de noir et l'illusion sera parfaite. Les mains aussi, maigres et crochues, que j'observerai plus tard quand il nous infligera un concert que personne n'a réclamé.

Il sent, le bougre, que ça n'intéresse que lui, alors il fait durer et tous les poncifs y passent: Jeux Interdits, la sonate Clair de Lune, une valse de Chopin, un peu de Mozart, bien sûr. Il nous dit, faussement modeste, qu'il n'a fait que quelques heures de piano dans sa jeunesse et qu'il s'y est remis seulement à la retraite. Pas besoin de préciser, on l'avait remarqué. Sauf un flagorneur parmi nous qui, telle Madame Verdurin chez Proust, n'en finit pas d'applaudir la qualité de l'interprétation et la fluidité du phrasé! C'est grotesque.

Ne pas trop s'étendre sur le décor, surchargé et d'un goût même pas douteux. D'ailleurs peut-on encore parler de goût? Ne rien dire non plus sur le repas, nourriture et conversation, de notre hôte. Deux exemples simplement: le kir était fait avec du sirop, les grâtons étaient flasques. Cerise sur le gâteau, cette phrase inoubliable: "Les noirs, ça sent mauvais!". J'avais envie de fuir ou de hurler. J'ai réussi à faire semblant, à sourire de temps en temps. Je le sais: j'étais installé à table en face du miroir et je déteste ça.

Pas très gentil, mon billet, pour quelqu'un qui m'avait invité? Non, pas gentil. J'aurais pu manger avec un immense plaisir une simple boîte de sardines chez quelqu'un qui me l'offrait chaleureusement et dont je savais les moyens financiers limités. Mais un vieil Harpagon qui fait semblant, qui veut faire grand style (ah! les assiettes en carton doré que l'on met sous les autres!) et qui se prend pour Chopin à Nohant, moi, j'ai du mal. J'étais de mauvaise humeur? Oui, et alors, ça se voit tant que ça?

Heureusement, j'adore la femme dont il se sert de maîtresse!

7 commentaires:

KarregWenn a dit…

Mais qu'allais-tu faire dans cette galère ?
Remarque tu n'as pas souffert pour rien, ton récit est horribilis à souhait. On en frémit...

karagar a dit…

Ah, t'es un rigolo toi, après avoir évoqué Chopin à Nohant, tu termines par "la femme qui lui sert de maîtresse", et c'est presque du Musset ça !
Sinon, je peux faire un copié-collé du comm. de Kgwn.

Cornus a dit…

C'est drôle, j'avais envie d'écrire exactement la même phrase que KarregWenn. Mais j'ai compris à la fin.
C'est terrible, voire choquant, mais qu'est-ce que c'est bien écrit. Cela me rappelle certaines personnes que je connais.
Ceci dit, ça me fait frissonner : que penserais-tu de nous si nous habitions une maison délabrée et si on était mal habillés ? Je sais d'avance ta réponse, mais c'est juste que notre maison et nous même ne brillons pas forcément comme des sous neufs.

Calyste a dit…

Élémentaire, ma chère Karreg! Voir la maîtresse!

Mais à Nohant, c'était "l'homme qui lui servait d'amant", Karagar! C'est George qui portait la culotte, assurément!

L'état de la maison m'importe peu, Cornus, si les gens qui l'habitent l'ensoleillent! Et, sans vous connaître tous les deux, je pense que c'est le cas!

Lancelot a dit…

Cornus en père Grandet ! Fromfrom en Eugénie ! Génial ! Laissez-moi la mise en scène...!!!

Au fait, je ne t'ai pas dit que j'avais fait quelques heures d'accordéon dans ma jeunesse ? Je viens de m'y remettre tout récemment... La prochaine fois que tu viens, je te régalerai avec tout ça... (même si, en ce qui me concerne, l'heure de la retraite n'a pas encore sonné... :( )

Calyste a dit…

Je vais attendre que tu y sois, alors, hein, Lancelot! Si, si, je t'assure. En attendant, j'écouterai Yvette Horner, ça me mettra en condition! Tiens, j'ai cru voir voler une assiette....

piergil a dit…

Comme quoi le plus attirant chez une femme c'est pas toujours son amant... quoique, pour lui plaire, doit bien avoir quelques qualités cachées que tu n'as pas eu le loisir d'apprécier! ;-)

C'est pas comme Lancelot , on voit de suite toutes ses... qualités... artistiques !!
'(c Ouilles,c Ouilles ! là j'sens qu'c'est pas une assiette que j'vais m'prendre dans la figure!)