mardi 4 mai 2010

L'Hydre

Étrange réalité que de se réveiller de mauvaise humeur. On s'est couché à une heure encore acceptable, on a (à peu près) bien dormi, sans cauchemars, sans mouvements intempestifs dont les draps froissés sont les témoins du matin, et pourtant, au réveil, à peine a-t-on mis le pied par terre que l'on en veut au monde entier.

En général, les objets se mettent aussi de la partie: une pantoufle a profité de l'obscurité pour se couler sous le lit jusqu'en un point inatteignable sans déplacer le meuble, l'ampoule électrique du couloir claque lorsque, machinalement, on appuie sur l'interrupteur et l'on se rend compte, au bout d'un long moment d'attente passé à essayer d'émerger des brouillards de la nuit, que l'on n'a pas mis d'eau dans le réservoir de la cafetière.

Parfois l'agacement face à ces imprévus suffit à remettre la tête à l'endroit: c'est tellement bête que c'en est drôle. Parfois, non. Autrefois, j'avais les matins taciturnes et agressifs. Il ne fallait pas m'adresser la parole avant que café et première(s) cigarette(s) n'aient produit leur effet. Si l'on transgressait cette règle du silence, on s'exposait à des réponses plus que sèches et cinglantes, lapidaires et pour la concision et pour la dureté. Peu à peu, je me suis pourtant civilisé. Aimant les autres, j'ai appris à les entendre, à les écouter même (sauf voix trop forte ou timbre trop aigu), et c'est souvent moi maintenant qui lance les premières plaisanteries.

Mais quelquefois, tout cela ne fonctionne pas. La bouche reste close et le sourire se fiche avant de se former. Même son propre silence, on ne le supporte pas. Dans ce cas-là, avant, je promenais mon humeur maussade toute la journée, en trouvant autour de moi d'excellents prétextes à la prolonger: un surplus de travail, une répartie mal acceptée, un agencement des événements qui contrarie l'emploi du temps que j'avais imaginé, un temps gris, les odeurs des transports en commun, la circulation intense et chaotique... J'ai encore souvent ce vieux réflexe d'aller chercher à l'extérieur de moi-même ce qui perturbe mon humeur.

Pourtant, de plus en plus, j'essaie de mieux comprendre et de retourner le miroir de mon côté. Je connais mon défaut, car c'en est un au bout du compte, de ne pas me laisser arrêter par les aléas de la vie, de les ingérer comme sans y penser pour avancer, passer à autre chose qui me semble plus urgent à ce moment-là (oui, oui, mon côté Scarlett O'Hara), et ensuite de me rendre compte que ces contrariétés ne se sont pas évanouies comme espéré et cru un moment, mais ont même plutôt du mal à être digérées. L'ennui, c'est que, plusieurs heures après, on garde le poids gênant du problème tout en en ayant, consciemment, oublié l'origine.

Et c'est à ce stade, en général, que les choses se gâtent. En réfléchissant, on croit retrouver dans telle ou telle circonstance de la journée la source du mal être alors que cette circonstance n'est qu'un épiphénomène, on en veut à quelqu'un pour un mot, une attitude, une réaction alors que ce mot, cette attitude, cette réaction ont été chez lui provoqués par ses propres mots à soi, ses propres attitudes, ses propres réactions. On ne peut trancher dans le vif, mais ce nœud gordien, qu'il est difficile à dénouer! Je n'y parviens pas toujours et me laisse enlacer par les spirales écœurantes de cette Hydre de Lerne aux têtes éternellement repoussant. Que voulez-vous, je ne suis pas Hercule. Même lui a eu besoin de l'aide d'un compagnon, Iolaos.

5 commentaires:

Samuel a dit…

J'ai envie de commenter les deux extrémités de cette note!
J'ai beaucoup le début, dans lequel je me suis retrouvé: quand tout va de travers au réveil, on se dit qu'on ferait mieux de rester sous la couette! J'en ai assez pour être de mauvais poil toute la journée. Mais j'ai une arme imparable pour ça : écouter un peu de musique! Certains ont besoin de leur café ou de leur clope pour être sociable, moi il me suffit de quelques chansons, et hop, ça va!
Si le début est drôle, je trouve la fin plus triste. Cette comparaison à Hercule, est-ce une façon de nous dire qu'il manque un compagnon à ta vie pour les matins bougons?

Cornus a dit…

En ce qui me concerne, il me faut pas mal de temps (plus que la moyenne) pour être bien réveillé le matin, mais je sais parler.
En revanche, j'ai rarement conscience que je suis de mauvais poil ou énervé. Au mieux, je m'en aperçois après coup.

Lancelot a dit…

Toi, de mauvaise humeur le matin ? Et moi qui te trouvais si mimi, revêtu de ton peignoir bleu, assis dans la cuisine à côté du café qui passait ! Un vrai attrappe-câlins ambulant...

Peut-être aurais-je dû me taire, m'effacer, ces matins-là ? Mais tu connais ma propension au bavardage. Je croyais connaître la tienne, cependant il y a peut-être des moments "avec" et d'autres "sans". Je n'ai peut-^tre pas su les détecter. J'espère que tu ne t'es pas forcé.

Ta note est douce-amère. Dominante un peu triste, mais je n'ai pu m'empêcher de me tordre en lisant les péripéties de la pantoufle balladeuse, de l'ampoule qui claque, ou de l'eau oubliée. Tordant parce qu'on a tous connu ça ! Ah, bah, tu as encore la capacité d'en plaisanter. Alors, t'es pas un ours si grognon que ça.

Et puis, grognon ou pas, un ours, c'est trognon.

karagar a dit…

J'ai trouvé que c'était une belle descrption détaillée et juste du phénomène de la mauvaise humeur. J'aime particulièrement quand tu expliques qu'on trouve à l'extérieur des prétexte à quelque chose qui a sa source en soi.
Café, cigarette pour me mettre en route, le seul problème est que je n'ai pas besoin d'être en route pour être un piplette !

Calyste a dit…

Samuel: répondre à ton questionnement serait sans doute un peu long ici. Ne m'en veux pas de laisser la question en suspens.

Et Fromfrom ne te le fais pas remarquer, Cornus? Décidément parfaite, cette femme!

Tu es gentil, Lancelot, mais c'est vrai: tu ne m'as jamais vraiment vu grognon. Tu ne connais pas ton bonheur!

Tu es une pipelette, karagar. J'ai pourtant du mal à t'imaginer ainsi. Je te voyais plutôt en sombre et ténébreux!