mardi 6 novembre 2018

Ce n'est pas pour les enfants.

Hier soir, j'ai vu pour la première fois le film La Chambre des officiers, de François Dupeyron (2001) relatant le long calvaire d'un jeune soldat défiguré lors de la guerre de 14-18, un de ceux que l'on a appelés les gueules cassées. Film magnifique, très émouvant et finalement optimiste même si certaines scènes ultimes sont épouvantables.

Imaginons qu'un soldat, gueule cassée, de cette guerre ait eu vingt ans en 1918, ce qui ne devait pas être rare. Il était donc né en 1898 et avait seulement 54 ans à ma naissance. Rajoutons dix ans pour me laisser le temps d'appréhender vraiment le monde qui m'entourait. La gueule cassée avait alors 64 ans. Or je n'ai aucun souvenir d'en avoir vu un seul. Étaient-ils tous morts prématurément ? Prenait-on grand soin de les cacher, surtout aux yeux des enfants ? Je penche plutôt pour la seconde hypothèse : alors qu'elle battait son plein quand j'étais enfant, je n'ai jamais entendu parler de la guerre d'Algérie. Le vert paradis de l'enfance était-il donc à ce point protégé ?

7 commentaires:

CHROUM-BADABAN a dit…

Je me souviens, étant très jeune, de mecs âgés qui vendaient des billets de loterie dans d'étroites guérites. Ils avaient de sales gueules, déformées, avec un bras en moins, des béquilles en bois avec rondelle de caoutchouc, pas de nez, des trucs en cuir sur le visage ou à la place des mains, des jambes de bois (avec rondelles !, etc.
C'était dans la Région Parisienne, Nanterre, Rueil-Malmaison... En Seine et Oise !
Je crois qu'ils vendaient des billets qui s'intitulaient : Les Gueules Cassées.
Une activité marginale, la vente de billets, pour les aider, une loterie pour les soutenir.
Vers la fin des années cinquante, il y avait encore bcp de "petits métiers", peau d'l'apin peau, le fromage de chèvre avec un petit troupeau et une flûte de pan sur les lèvres du chevrier.
Je me souviens aussi des poubelles en acier zingué, toutes cabossées, qui faisaient un raffut du diable quand on les traînait par terre, lorsque les chats faisaient tomber le couvercle pour bouffer, quand les "boueux" les cognaient sur le camion pour les vider.
Je me souviens aussi des clochards qui retournaient les poubelles sur un grand chiffon qu'ils étalaient par terre pour récupérer ce qu'il y avait d'intéressant.
Et de mon grand-père crachant son emphysème par la fenêtre parce qu'il avait été gazé à l'ypérite en 14-18.
Oui il y avait encore bcp de reliquats de 14-18, à l'époque !

Cornus a dit…

Beaucoup étaient morts aussi, parce que leur santé avaient été altérée. Mon grand-père paternel est mort à 68 ans (pas forcément à cause de ça, mais l'espérance de vie était bien plus faible et que même sans la guerre, ils vivaient souvent dans des conditions difficiles).

Bleck a dit…

J'ai apprécié également pour la première fois "La chambre des officiers", beau film malgré les horreurs je l'ai trouvé finalement plutôt pudique.
Tout comme Chroum, je me souviens de quelques gueules cassées mais habitant la Normandie il est tout à fait possible qu'il s'agisse de grands blessés de 39/45, qu'importe ils souffraient... j'ai le souvenir d'un très grand bel homme toujours habillé de façon impeccable toujours au teint hâlé et souriant qui n'avait plus du tout de bras, il était très propre ce qui moi enfant me surprenait le plus !

Bleck

vaileka a dit…

Je ne me souviens pas avoir vu de " gueules cassées " ni d'en avoir entendu parler au sein de ma famille .Par contre la guerre d'Algérie est encore bien présente dans ma mémoire : le plus jeune frère de mon père, également mon parrain est parti combattre en Algérie à l'âge de 20 ans en 1956 . Mes parents parlaient à table de tout ce qui se passait là-bas et nous, les enfants n' en perdions pas une miette ! Les attentats, en Algérie,en France, l' OAS,ou les parachutistes insurgés qui devaient sauter sur Paris ...Ce jour-là, j'étais sur le balcon de notre appartement à Caen, j'avais 12 ans et toute naïve,entre peur et curiosité je scrutais le ciel au cas où je les apercevrais ...Heureusement, mon parrain est revenu sain et sauf de cette guerre mais je ne l'ai jamais ensuite entendu parler de cette période ....
A propos de gueules cassées, avez-vous lu " au-revoir là-haut " de Pierre Lemaitre ? Bouleversant ...

Calyste a dit…

Chroum : en te lisant, je me suis souvenu de ces billets de loterie des gueules cassées (souvenir confirmé par ma sœur plus jeune). Mais pas de handicapés pour les vendre. Dans les petits métiers, il y en avait un qui me terrorisait : l'homme qui ramassait les peaux de lapins et les vieux chiffons. Chez nous, on l'appelait le "pater" (prononcer à la latine) et on nous menaçait qu'il nous emmène si on n'était pas sages.

Cornus : oui, il y a eu aussi tous les gazés.

Bleck : très pudique par rapport à ce que l'on peut voir par ailleurs. Pour ce qui est de l'homme propre et sans bras, les enfants ont toujours une logique infaillible.

Vaileka : mon père (beau-père) n'est pas parti car il était "soutien de famille". Pour ma part, jamais entendu parler d'attentats, ni de parachutistes. J'ai su tout ça après coup. Peut-être parce que nous habitions à la campagne ou que mes parents baissaient la voix pour parler devant nous de certaines choses. Et puis, à cette époque-là, j'étais très rêveur, toujours dans la lune. Ça n'a d'ailleurs pas beaucoup changé.
J'ai adoré "Au revoir là-haut" et y ai pensé pendant tout le film La Chambre des officiers. Ma sœur m'a prêté la suite "Couleurs de l'incendie", qui attend sagement son tour sur la commode.

Cornus a dit…

Calyste> Mon grand-père a été gazé près d'Ypres, mais a eu la chance extraordinaire de s'en sortir.

Calyste a dit…

Cornus : il me semblait m'en souvenir.